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DÉMOCRITE.

Fra-Paolo. Et alors il y a danger, comme cette histoire est très-bien faite, qu’on ne la préfère à celle du cardinal, qui peut être plus véritable, mais qui n’en est pas plus vraisemblable. L’inconvénient que Baronius voulut éviter, est, ce me semble, le même que celui dont Platon se voulut donner de garde. Voilà toute la finesse. Diogène Laërce ne connaissait guère les ruses de la guerre des auteurs ; puisqu’il n’a point mis la main sur celle-ci en parlant de la conduite de Platon. On a voulu dire qu’Aristote fit réellement ce que Platon avait eu dessein de faire, et qu’afin d’être le seul philosophe dont la postérité eût connaissance, et pour se pouvoir emparer impunément des trésors de ceux qui avaient philosophé avant lui, il brûla tous leurs écrits. Un professeur de Pavie débite cela comme un fait certain, et prétend que Pline en parle d’une maniere intelligible. Quod Plato designaverat, exequutus est Alexandri ope Aristoteles, quasi parùm esset Alexandro, si se monarcham redderet Asiæ, nisi Aristoteli jus in philosophos daret, qui quod sua tantùm de tot antiquis monumenta superesse voluit, tyrannidem in ingenia videtur affectâsse..... Dùm itaque regum fortunas unicâ vincendi libidine ductus everteret Alexander, superbissimo furore ambitiosus nominis Aristoteles in philosophorum principes est debacchatus, unoque incendio congestas triginta sex seculis tot sapientiæ divitias absumpsit, et si quæ voluit superesse funeri, ea omnium ludibrio dicteriisque lacessenda tradidit posteris, dum in optimorum bona invectus, abscissis perditisque sapientiæ statuarum capitibus, suum imposuit singulis : neque obsecurè literarii peculatûs reum facit Aristotelem curiosissimus Plinius, in præfat. ad D. Vespasianum imp. [1]. Il se trompe à l’égard du second chef. Pline ne dit rien où l’on puisse reconnaître Aristote plutôt qu’un autre plagiaire, et je ne doute pas qu’il ne se trompe à l’égard de l’incendie des livres. Voyez ce qu’a remarqué là-dessus Charles-Emanuel Vizani dans son commentaire sur Ocellus Lucanus [2]. Les Juifs content sottement qu’Aristote ayant appris toute sa philosophie dans les livres de Salomon, trouvés à Jérusalem, lorsqu’Alexandre se rendit maître de cette ville, les brûla pour se faire honneur de la sagesse qu’ils contenaient [3].

(R) Le système des atomes n’est pas… aussi absurde que le spinozisme. ] Car au moins les atomistes reconnaissent une distinction réelle entre les choses qui composent l’univers, après quoi il n’est pas incompréhensible que, pendant qu’il fait froid dans un pays, il fasse chaud en un autre, et pendant qu’un homme jouit d’une parfaite santé, un autre soit bien malade. Dans le spinozisme, où tout l’univers n’est qu’une seule et unique substance, c’est une contradiction à quoi il ne manque rien ; c’est, dis-je, une contradiction de cette nature, que de soutenir que Pierre est docte pendant que Guillaume est ignorant, et ainsi de toute sorte d’attributs contraires qui se vérifient tout à la fois de plusieurs personnes, les uns de celles-ci, les autres de celles-là. En supposant une infinité d’atomes réellement distincts les uns des autres, et doués tous essentiellement d’un principe actif, on conçoit l’action et la réaction, et les changemens continuels qui se marquent dans la nature : mais où il n’y a qu’un seul principe, il ne peut point y avoir d’action et de réaction, ni de changement de scène. Ainsi, en quittant le droit chemin qui est le système d’un créateur libre du monde, il faut nécessairement tomber dans la multiplicité des principes ; il faut reconnaître entre eux des antipathies et des sympathies, les supposer indépendans les uns des autres quant à l’existence et à la vertu d’agir, mais capables néanmoins de s’entre-nuire par l’action et la réaction. Ne demandez pas pourquoi en certaines rencontres l’effet de la réaction est plutôt ceci que cela ; car on ne peut donner raison des propriétés d’une chose, que lorsqu’elle a été faite librement par une cause qui a eu ses raisons et ses motifs en la produisant.

  1. Joan. Chrysostomus Magnenus, in Prolegomenis Democriti reviviscentis, pag. 23.
  2. Pag. m. 144.
  3. Bartolocci, in Biblioth. Rabbin. dans le Journal des Savans, 1692, pag. 464. Voyez tome II, pag. 359 la citation (27) de l’article Aristote.