gations qu’il avait à Démocrite, et en le traitant de rêveur, ou de donneur de billevesées, ληρόκριτος, nugarum censor. Ce fut un de ses jeux de mots.
(P) Il n’était rien moins qu’orthodoxe touchant la nature divine. ] S’il avait seulement dogmatisé que Dieu était un esprit placé dans une sphère de feu, et l’âme du monde [1], il serait cent fois moins intolérable qu’il ne l’est ; mais je trouve d’autres dogmes bien plus dangereux qui lui sont attribués dans les livres de Cicéron. Quid ? Democritus qui tùm imagines, earumque circuitus in Deorum numero refert, cùm illam naturam quæ imagines fundat ac mittat, tùm scientiam intelligentiamque nostram, nonne in maximo errore versatur ? cùmque idem omninò quia nihil semper suo statu maneat, neget esse quicquam sempiternum, nonne Deum ita tollit omninò ut nullam opinionem ejus reliquam faciat [2] ? Voilà les dogmes que Velleïus l’un des interlocuteurs de Cicéron attribue à Démocrite : ils sont tels qu’on peut assurer que quiconque les embrasse est véritablement dans le cas de celui qui dit,
Ô Jupiter, car de toi rien sinon
Je ne connais seulement que le nom [3].
Car la nature que Démocrite appelait
Dieu n’avait ni l’unité, ni l’éternité,
ni l’immutabilité, ni les autres attributs
qui sont essentiels à la nature
divine. Il prodiguait le nom de
Dieu aux images et aux idées des objets,
et à l’acte de notre entendement
par lequel nous connaissons les objets.
J’ose bien dire que cette erreur,
quelque grossière qu’elle soit, ne sera
jamais celle d’un petit esprit, et qu’il
n’y a que de grands génies qui soient
capables de la produire. Je ne sais si
jamais personne a pris garde que le
sentiment de l’un des plus sublimes
esprits de ce siècle, que nous voyons
toutes choses dans l’Être infini, dans
Dieu, n’est qu’un développement et
qu’une réparation du dogme de Démocrite.
Prenez bien garde que Démocrite
enseignait que les images des
objets, ces images, dis-je, qui se répandent
à la ronde, ou qui se tournent
de tous côtés pour se présenter
à nos sens, sont des émanations de
Dieu, et sont elles-mêmes un Dieu ;
et que l’idée actuelle de notre âme,
est un Dieu. Y a t-il bien loin de cette
pensée à dire que nos idées sont en
Dieu, comme le père Mallebranche le
dit, et qu’elles ne peuvent être une
modification d’un esprit créé ? Ne
s’ensuit-il pas de là que nos idées sont
Dieu lui-même ? Or nos idées et notre
science peuvent passer facilement pour
la même chose. Cicéron fera dire
tant qu’il lui plaira par un de ses personnages,
que ces pensées de Démocrite
sont dignes d’un Abdéritain
[4], c’est-à-dire, d’un sot et d’un
fou : je suis sûr qu’un petit esprit ne
les formera jamais. Pour les former,
il faut comprendre toute l’étendue de
pouvoir qui convient à une nature
capable de peindre dans notre esprit
les images des objets. Les espèces intentionnelles
des scolastiques sont
la honte des péripatéticiens : il faut
être je ne sais quoi pour se pouvoir
persuader qu’un arbre produit son
image dans toutes les parties de l’air
à la ronde, jusques au cerveau d’une
infinité de spectateurs. La cause qui
produit toutes ces images est bien
autre chose qu’un arbre. Cherchez-la
tant qu’il vous plaira, si vous la trouvez
au-deçà de l’Être infini, c’est
signe que vous n’entendez pas bien
cette matière. Je ne disconviens pas
qu’au fond ces dogmes de Démocrite
ne soient très-absurdes. Saint Augustin
les a réfutés solidement, et nous a
- ↑ Νοῦν μὲν γὰρ εἶναι τὸν Θεὸν ἰσχυρίζεται καὶ αὐτὸς (Δημόκριτος) πλὴν ἐν πυρὶ σϕαιροειδεῖ, καὶ αὐτὸν εἶναι τὴν τοῦ κόσμου ψυχήν. Cyrillus contra Julianum, lib. I. Cela est tiré de Plutarque, de Plac. Philosoph., lib. I, cap. VII, pag. 881, D, où il dit, Δημόκριτος νοῦν τὸν Θεὸν ἐμπυροειδῆ, τὴν τοῦ κόσμου ψυχήν. Democritus mentem Deum in igne globoso, mundi animam.
- ↑ Cicero, de Naturâ Deorum, lib. I, cap. XII et XXXVIII.
- ↑ Voyez le Plutarque d’Amyot, au Traité de l’Amour, chap. XII.
- ↑ Democritus… tum censet imagines divinitate præditas inesse universitati rerum : tum principia mentesque quæ sunt in eodem universo Deos esse dicit : tum animantes imagines, que vel prodesse nobis solent, vel nocere : tum ingentes quasdam imagine, tantasque ut universum mundum complectantur extrinsecùs. Quæ quidem omnia sunt patriâ Democriti quàm Democrito digniora. Cicero, de Nat. Deor.. lib. I, cap. XXXVIII.