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DÉMOCRITE.

Démocrite contre les mages. Solin prétend que ce philosophe se servit utilement contre eux de la pierre catochites, Accipimus Democritum Abderitem ostentatione scrupuli hujus frequenter usum ad probandam occultam naturæ potentiam in certaminibus quæ contra magos habuit [1]. M. de Saumaise [2] oppose à Solin divers passages de Pline, qui, comme on l’a vu dans cette remarque, témoignent que Démocrite s’attachait beaucoup aux magiciens. Mais qui a dit à Saumaise que l’émulation n’a point lieu parmi ces gens-là ? N’est-il pas très-vraisemblable qu’ils font assaut de réputation ? Cela n’est-il pas confirme par nos écrivains démonographes ? Ne nous disent-ils pas qu’il y a des magiciens qui peuvent défaire ce que font les autres ? Il est apparent que Janes et Jambres qui résistèrent à Moïse [3], le prenaient pour un magicien. Ainsi Démocrite aurait pu pendant un assez long temps être l’humble sectateur des magiciens, et puis, lorsqu’il crut en savoir autant ou plus que les autres, contrecarrer ceux qu’il rencontrait, afin d’élever sa réputation au-dessus d’eux.

(L) Je ne pense pas qu’il ait été assez visionnaire pour s’être crevé les yeux. ] Plusieurs auteurs rapportent cette sottise. La raison la plus ordinaire que l’on donne pourquoi il en usa de la sorte, est qu’il espéra de méditer plus profondément, lorsque les objets de la vue ne feraient point diversion aux forces intellectuelles de son âme [4]. Democritum philosophum in monumentis historiæ græcæ scriptum est..... luminibus oculorum suâ sponte se privâsse, qui existimaret cogitationes commentationesque animi sui in contemplandis naturæ rationibus vegetiores et exactiores fore, si eas videndi illecebris, et oculorum impedimentis liberâsset [5]. Ne lui suffisait-il pas de s’enfermer dans un lieu obscur, ou de n’ouvrir pas les yeux pendant les heures de méditation ? Labérius, dans une pièce de théâtre, feignit que ce philosophe s’aveugla, afin que la prospérité des méchans ne lui frappât plus la vue : Labérius, dis-je, feignit cela sans autre raison, si ce n’est que cette hypothèse lui était commode pour soutenir le personnage qu’il avait en main. Il expliqua même comment Démocrite s’était aveuglé ; ce fut, disait-il, en s’exposant à la lumière qu’un bouclier lui refléchissait [6] : Causam voluntariæ cæcitatis finxit aliam (Labérius) [7] vertitque in eam rem quam tum agebat, non inconcinniter. Est enim persona, quæ hæc apud Laberium dicit, divitis avari et parci sumptum plurimum asotiamque adolescentis viri deplorantis.

Democritus Abderites physicus philosophus
Clypeum constituit contra exortum Hyperionis,
Oculos effodere ut posset splendore æreo.
Ita radiis solis aciem effodit luminis,
Malis benè esse ne videret civibus.
Sic ego fulgentis splendorem pecuniæ
Volo elucificare exitam ætati meæ ;
Ne in re bonâ esse videam nequam filium.


Plutarque avait ouï dire que Démocrite s’était servi de miroirs brûlans, sur lesquels il attacha fixement la vue, et cela afin de s’ôter un obstacle de méditation. Ὅθεν ἐκεῖνο μὲν ψεῦδός ἐςι, τὸ Δημόκριτον ἑκουσίως σϐέσαι τὰς ὄψεις ἀπερεισάμενον ἐις ἔσοπτρα πυρωθέντα καὶ τὴν απ᾽ ἀυτῶν ἀνάκλασιν δεξάμενον. Equidem falsum est quod dicitur Democritum sponte suâ oculos extinxisse in ignitum speculum eos defigentem luminisque reflexionem accipientem [8]. Il rejette ce conte comme une fable. L’auteur des Nouvelles de la République des Lettres, ayant rapporté la cause qui, selon Labérius, obligea ce philosophe à s’aveugler, ajoute : » D’autres disent qu’il s’aveugla pour méditer avec moins de distraction. Cela est plus vraisemblable, quoique peut-être aussi faux ; car quelle apparence que Démocrite, qui riait de toutes choses, se fit une cause de chagrin de la prospérité d’un malhonnête homme ? Ce devait être une fête et

  1. Solin., cap. III, sub fin.
  2. Salm., in Exercit. Plinian., pag. 98, 99.
  3. IIe. épître de saint Paul à Timothée, chap. III, vs. 8.
  4. Cicér., de Finib., lib. V, cap. XXIX, n’affirme ni ne nie le fait ; mais s’il eût avoué le fait, il en eut reconnu cette raison.
  5. Aulus Gellius, lib. X, cap. XVII.
  6. Aulus Gellus, lib. X, cap. XVII.
  7. In mimo quem scripsi restionem. Idem, ibidem.
  8. Plut., de Curiositate, pag. 521, C.