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DÉMOCRITE.

y passa les jours et les nuits à étudier et à composer. Il y eut des jeunes gens qui tâchèrent de lui faire peur ; ils se déguisèrent en cadavres, ils prirent les masques les plus affreux, ils vinrent rôder autour de lui, et faire cent sauts et cent bonds. Il ne daigna pas les regarder, et se contenta de dire tout en écrivant, cessez de faire les fous. Ὁ δὲ οὔτε ἔδεισε τὴν προσποίησιν αὐτῶν, οὔτε ὅλως ἐνέϐλεψε πρὸς αὐτοὺς· ἀλλὰ μεταξὺ γράϕων, παύσασθε, ἔϕη, παίζοντες· οὕτω βεϐαίως ἐπίςευε μηδὲν εἶναι τὰς ψυχὰς ἔτι, ἔξω γενομένας τῶν σωμάτων. Hic neque ipsorum simulationem timuerit, neque ipsos omninò respexerit : sed inter scribendum dixerit, desinite ineptire : adeò firmiter credidit animas nihil esse postquàm è corporibus exierint [1]. C’est, dit Lucien, qu’il était fortement persuadé que l’âme mourait avec le corps, et que tout ce qu’on dit des spectres et des fantômes, et du retour des esprits, est par conséquent une chimère. Personne presque n’a ouï parler de Démocrite, sans apprendre qu’Hippocrate fut appelé pour le guérir. De fort bons critiques [2] sont persuadés que les lettres qu’on voit sur cela parmi celles d’Hippocrate sont supposées : mais on ne saurait douter que cette fiction ne soit fort ancienne. On a donc feint il y a long-temps que les Abdérites écrivirent à Hippocrate, pour le prier de venir voir Démocrite. Ils craignaient qu’il ne devînt tout-à-fait fou, et que son grand savoir ne le démontât entièrement ; et ils regardaient cela comme un grand malheur public. Hic præ multa quæ detinet ipsum sapientia ægrotat, ut timor sit ne nostra urbs Abderitarum pessumdetur, si Democritus mente fuerit motus [3]. Ils le voyaient ne se soucier de rien, rire de tout, dire que l’air était plein d’images, chercher ce que disent les oiseaux, se vanter qu’il faisait de temps en temps un voyage dans l’espace immense des choses. Il paraît par une de ces lettres d’Hippocrate, que l’amour de la solitude avait exposé Démocrite aux mauvais bruits qui couraient de lui. In veritatis regione quam Sapientia collustrat, non est pater, nec mater, uxorve, aut cognati, non liberi nec fratres neque famuli, fortunaque vel aliud ex his quæ tumultum faciunt. Democritus illuc præ sapientiâ commigravit, et insaniâ teneri creditur ob solitudinis amorem [4]. Au reste, la supposition de ces lettres ne m’empêcherait pas de croire qu’Hippocrate fut appelé par les Abdérites, et qu’en un mot celui qui forgea ces lettres, s’appuya sur des faits autorisés par une assez bonne tradition [5]. Mais voici quelque chose de plus fort. M. Drelincourt, professeur en médecine à Leyde, un des plus savans hommes de notre siècle, m’a assuré qu’il n’y a point lieu de douter que les lettres qui concernent Démocrite, parmi celles d’Hippocrate, ne soient légitimes : c’est le sentiment ordinaire des médecins, dit-il.

(G) Il devint très-habile.… et jusqu’a se pouvoir élever à la gloire de l’invention, comme nous l’apprend Senèque. ] Voici l’éloge que son historien lui a donné : Ἦν ὡς ἀληθῶς ἐν ϕιλοσοφίᾳ πένταθλος, τὰ γὰρ ϕυσικὰ, καὶ τὰ ἠθικὰ, ἀλλὰ καὶ τὰ μαθηματικὰ, καὶ τοὺς ἐγκυκλίους λόγους καὶ περὶ τεχνῶν πᾶσαν ἐἶχεν ἐμπειρίαν. Erat revera in philosophiâ quinque certaminum peritus. Namque naturalia, moralia, mathematica, liberalium disciplinarum orbem artiumque omnem peritiam callebat [6]. Quant aux choses qu’il inventa, vous trouverez que Sénèque ne l’en loue pas beaucoup. Democritus, inquit, invenisse dicitur fornicem, ut lapidum curvatura paulatim inclinatorum medio saxo alligaretur. Hoc dicam falsum esse. Necesse est enim ante Democritum, et pontes, et portas fuisse, quarum ferè summa curvantur. Excidit porrò vobis, eundem Democritum invenisse, quemadmodùm ebur molliretur, quemadmodùm decoctus calculus in smaragdum converteretur, quâ hodièque cocturâ inventi lapides coctiles colorantur. Illa sapiens licet invenerit, non qua sapiens erat, invenit. Multa enim facit, quæ ab imprudentissimis

  1. Lucian., in Philopseude, tom. II, pag. 495.
  2. Menag., in Laërt., lib. IX, num. 4.
  3. Apud Hippocrat., in Epist., num. V, citante Magneno, in Vitâ Democriti, pag. 24.
  4. Magnenus, ibid., pag. 26.
  5. Je ne détruis donc point ici ce que j’ai dit tome I, pag. 40, citation (47) de l’article Abdère.
  6. Laërt., lib. IX, num. 37.