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DÉMOCRITE.

croire qu’il y a quantité de gens qui le connaissent ; mais il serait à craindre que cette erreur ne fût plus fortement et plus efficacement combattue qu’aucune superstition. Une infinité de gens seraient esprits forts, et dogmatiseraient en esprits forts contre cette fraude pieuse. Il y en a qui disent que ce fut à la voix de cette fille que Démocrite reconnut la défloration [1]. Il remarqua, disent-ils, qu’elle n’avait pas le ton de voix du jour précédent ; et sur cela ils nous content qu’Albert-le-Grand, sans sortir de son cabinet, reconnut la faute d’une servante. On l’avait envoyée chercher du vin dans un cabaret ; elle revint en chantant. Albert appliqué à ses études ne laissa pas de remarquer que la voix de cette fille était devenue moins claire qu’elle n’était, et il conclut qu’on avait dépucelé cette servante durant ce petit voyage. Nec minùs vocis mutationem ob eandem ferè causam, quo tantùm signo ferunt Albertum magnum ex musæo suo puellam ex œnopolio vinum pro hero apportantem in itinere vitiatam fuisse deprehendisse, quòd in reditu subindé cantantis ex acutâ in graviorem mutatam vocem agnovisset [2]. Voyez le dernier alinéa de cette remarque.

Je n’ai rien à dire contre M. de la Mothe-le-Vayer ; car s’il dit que Démocrite connut à l’odeur du lait les qualités de la chèvre, il nous déclare en même temps que, selon Diogène Laërce, ce fut la vue, et non l’odorat, qui fit connaître cela à Démocrite. Ainsi la Mothe-le-Vayer ne nous trompe point ; il ne nous donne pas lieu de croire que sa conjecture soit un fait qu’il ait tiré des anciens auteurs. On ne sera pas fâché de trouver ici le fondement de sa conjecture : Democrite, dit-il [3], se fit admirer dans sa conférence avec Hippocrate, jugeant de mesme [4] que le lait qu’on leur avoit présenté estoit d’une chevre noire, et qui n’avoit encore porté qu’une fois. Je sçai bien que l’écrivain de sa vie [* 1] parle de ce discernement comme d’un effet de la veue. Mais ce que nous lisons dans Philostrate d’un jeune pasteur, qui reconnut au flairer que le lait n’était pas pur, me fait penser la mesme chose de l’action de Democrite. Ce rustique, grand et fort à merveille, se nommoit Agathion, et avoit prié le sophiste Herode de lui tenir prest au lendemain un vase plein de lait pur à son égard, c’est-à-dire, qui n’eust pas été tire de la main d’une femme. Mais il s’aperceut aussi-tost qu’on le luy offrit, comme il n’estoit pas tel qu’il l’avoit demandé, protestant que l’odeur des mains de celle qui l’avoit tiré luy offensoit l’odorat. Philostrate le nomme divin là-dessus.

Quelque frivole que puisse être le conte que j’ai rapporté de la découverte d’Albert-le-Grand, on peut dire que de très-habiles médecins s’amusent beaucoup à raisonner sur les rapports qu’ils prétendent qui se trouvent entre les organes de la génération et le gosier ; et c’est une chose assez ordinaire que de voir des gens, et des gens même du commun peuple, qui remarquent qu’un prédicateur, la première année de son mariage, a un ton de voix plus sec, plus cassé, plus enroué. Meursius assure qu’anciennement les nourrices mesuraient tous les matins, avec un fil, le cou des filles qu’elles avaient sous leur garde ; qu’elle le mesuraient, dis-je, afin de connaître si la virginité s’en était allée ou non [5]. Il prouve cela par un passage de Catulle ; mais j’aimerais mieux dire que ce passage montre seulement qu’on leur mesurait le cou le jour des noces et le lendemain. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, au mois de janvier 1686, page 27. Isaac Vossius, commentant ce même passage, a fait une note où il est parlé d’un prétendu livre de Démocrite, dans lequel on marque de quelle manière il faut mesurer le cou. Cela donc appartient de droit à cette partie de mon commentaire. In veteri scripto de sympathiâ et antipathiâ, quod perperam tribui-

  1. (*) Diog. Laërt.
  1. Gaspar à Reies, in Elysio jucundarum Quæstion. Campo, quæst. XXXIX, num. 7, pag. m. 474.
  2. Idem, ibidem.
  3. Tom. X, lettre IV, pag. 31.
  4. C’est-à-dire, comme Phérécyde avait prédit un tremblement de terre par l’odeur d’une eau de puits.
  5. Meurs., Auct. Philol., cap. XXXVI, apud Almelov. Specim. Antiquit. è sacris profanarum, pag. 67.