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DELLIUS.

toine sur l’avis qu’on lui donna que Cléopâtre le voulait faire tuer. Dans la première rencontre, Plutarque lui fait tenir la conduite d’un fin matois (A) ; et dans la seconde, celle d’un homme qui se rend coupable d’une grande indiscrétion (B), par rapport à ce qu’on appelle bonnes fortunes en matière de galanterie. C’est dans ce dernier passage que l’on apprend que Dellius était un historien (C), et qu’il fit savoir au public la raison pourquoi il se retira de la cour de Marc Antoine. Il le fit dans une circonstance de temps très-favorable à Auguste. Ce fut peu avant la bataille d’Actium, et bien informé des desseins de Marc Antoine, et très-capable d’apprendre à Auguste l’état où se trouvait l’ennemi [a]. Sénèque le père rapporte diverses choses qui ne font aucun honneur à Dellius (D). On croit avec assez d’apparence que le Dellius de la IIIe. ode du IIe. livre d’Horace est le même que celui dont Plutarque a fait mention (E), et qui fut envoyé en ambassade plus d’une fois par Marc Antoine [b]. Nous mettons ensemble dans une même remarque quelques fautes que nous avons recueillies (F).

  1. Dio, lib. L, pag. m. 495.
  2. Voyez la remarque (C) à la fin.

(A) Plutarque.... lui fait tenir la conduite d’un fin matois. ] Dès qu’il eut vu et ouï cette belle reine, il jugea qu’on aurait bientôt besoin d’elle, et que sa beauté, secondée de sa langue bien pendue, lui donnerait toute sorte d’ascendant sur Marc Antoine. C’est pourquoi il se mit à faire la cour à Cléopâtre, et à l’exhorter à se produire en Cilicie avec tous ses ornemens. Il l’assura qu’elle n’avait rien à craindre d’un général d’armée aussi honnête, et aussi courtois que celui qui la mandait. Elle se trouva merveilleusement confirmée par ce discours dans l’espérance qu’elle avait conçue de se faire aimer de Marc Antoine. Elle avait raisonné de la sorte : Puisque César et le fils du grand Pompée [1], qui ne m’ont vue que lorsque j’étais une jeune fille sans expérience, et qui ne savait pas encore son monde, n’ont pas laissé de devenir ma conquête, que ne dois-je pas attendre à présent que ma beauté et mon esprit sont dans leur plus grande force ? Ἡ δὲ καὶ Δελλίῳ πεισθεῖσα, καὶ τοῖς πρὸς Καίσαρα καὶ Γναῖον τὸν Πομπηίου παῖδα πρότερον αὐτῇ γεγενημένοις ἀϕ᾽ ὥρας συμϐολαίοις τεκμαιρομένη, ῥᾶον ἤλπιζεν ὑπάξεσθαι τὸν Ἀντώνιον· ἐκεῖνοι μὲν γὰρ αὐτὴν ἔτι κόρην καὶ πραγμάτων ἄπειρον ἔγνωσαν, πρὸς δὲ τοῦτον ἔμελλε ϕοιτήσειν, ἐν ᾧ μάλιςα καιροῦ γυναῖκες ὥραν τε λαμπροτάτην ἔχουσι καὶ τῷ ϕρονεεῖν ἀκμάζουσι. Illa hinc ab Dellio inducta, hinc conjecturam ducens ex prioribus suis formæ cum Cæsare et Cneo Pompeii filio commerciis, facilè Antonium speravit se subacturam : quando puellam adhuc illi et rerum rudem cognoverant, ad hunc verò ventura erat quo maximè tempore speciem habent feminæ florentissimam et ingenio vigent [2]. Ce raisonnement est beaucoup meilleur que ne s’imaginent ceux qui ne parlent que de filles de quinze ans, que de roses à demi closes, et pour qui l’âge de vingt ans est une entrée dans la vieillesse. Gens impertinens qui peuvent aisément connaître, et par les choses qui se passent de leur temps, et par l’histoire des siècles passés, que les dames qui ont le plus charmé les grands princes, et qui ont fait le plus de fracas dans une cour, étaient d’un âge qui leur avait permis d’acquérir l’expérience des affaires, et de se perfectionner l’esprit, et qu’il y en a peu dont l’empire soit de durée, si les grâces de l’esprit ne secondent celles du corps. Plutarque observe que Cléopâtre charmait

  1. Ceci fait de la peine aux critiques ; car on ne voit pas en quel temps le fils de Pompée a pu aimer Cléopâtre avant la défaite de Brutus et de Cassius. Voyez les Lettres de Marc Velsérus.
  2. Plut., in M. Antonio, pag. 926, 927.