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DÉJOTARUS.

gné un royaume. Cela me fait souvenir d’une échappatoire fort commune à ceux qui, dans les guerres de religion, prêchent à leurs gens que Dieu leur promet un bon succès, que tous les présages sont favorables, etc. : il arrive assez souvent que toutes ces belles promesses sont suivies de la perte d’une bataille. Le prédicateur n’en est pas déconcerté : il trouve cent admirables ressources : si l’on avait vaincu, on se serait trop confié au bras de la chair, on aurait trop encensé à ses rets : une défaite nous apprend que nous n’étions pas assez humbles ; le doigt de Dieu sera désormais plus sensible : ainsi dans le fond les présages étaient heureux, puisque la victoire deviendra funeste au vainqueur, et que le parti vaincu apprendra mieux à se confier en celui qui est le rocher des siècles.

(L) On ne démêle pas bien en quel temps Brutus plaida fortement.... la cause de Déjotarus. ] Cicéron en parle de cette manière : Erat à me mentio facta causam Dejotari fidelissimi atque optimi ornatissimè et copiosissimè à Bruto me audîsse esse defensam [1]. On ne doute point que le livre où il parle ainsi n’ait été fait avant la mort de Caton d’Utique [2] : il faut donc dire que Brutus ne plaida point pour Déjotarus dans l’accusation de Castor ; car ce fut au retour d’Espagne, et après la guerre d’Afrique, que César examina cette accusation. On peut même être assuré que Brutus ne plaida point pour Déjotarus à Rome, mais à Nicée [3] : et ainsi il y a lieu de croire qu’il ne justifia Déjotarus que d’avoir porté les armes contre César dans l’armée de Pompée. Cette harangue de Brutus est moins louée par l’auteur du dialogue de caussis corruptæ eloquentiæ, que par Cicéron. La mémoire de Plutarque s’est ici un peu brouillée ; il nous parle d’un roi de Libye dont Brutus soutint vivement les intérêts. Il ne put le justifier ; les crimes étaient trop grands et trop évidens ; mais à force d’intercessions il lui conserva une partie du royaume [4]. Cela ne regarde pas un roi de Libye, mais Déjotarus.

(M) On mettrait en parallèle Sara femme d’Abraham, avec Stratonice femme de Déjotarus. ] Stratonice, femme de Déjotarus, était stérile ; et bien informée que son mari souhaitait avec passion d’avoir des enfans qui pussent être les héritiers de son royaume, elle lui conseilla de se servir d’une autre femme, et lui promit de reconnaître pour siens les enfans qu’il en aurait. Il admira ce conseil, et lui déclara qu’il en passerait partout où elle voudrait. Là-dessus elle choisit entre les captives une fille de grande beauté [5], l’ajusta, l’orna, et la mit entre les mains de Déjotarus. Elle reconnut pour siens tous les enfans qui naquirent de ce commerce, et les éleva tendrement et pompeusement [6]. Plutarque en un autre endroit donne le nom de Bérénice, Βεῤῥονίκη, à la femme de Déjotarus. Il en dit une chose dont les pyrrhoniens se servent. Il dit qu’une femme de Lacédémone s’étant approchée de Bérénice, il arriva que ces deux femmes détournèrent la tête tout aussitôt et en même temps ; Bérénice, parce qu’elle ne pouvait souffrir l’odeur du beurre ; et l’autre, parce qu’elle ne pouvait souffrir l’odeur des onguens. Πρὸς δὲ Βεῤῥονίκην τὴν Δηϊοτάρου τῶν Λακεδαιμονίων τινὰ γυναικῶν ἀϕικέσθαι λέγουσιν· ὡς δὲ ἐγγὺς ἀλλήλων προσῆλθον, εὐθὺς ἀποςραϕῆναι, τὴν μὲν τὸ μύρον, ὡς ἔοικε, τὴν δὲ τὸ βούτυρον δυσχεράνωσαν. Et ferunt Spartanam quandam mulierem accessisse ad Berenicem Dejotari uxorem, cùmque invicem appropinquâssent, aversas fuisse, quòd unguentum altera, altera butyrum olfaciens aversaretur [7]. La terminaison grecque de Stratonice et de Bérénice brouilla peut-être les idées de Plutarque, jusques à faire qu’il donnât à la même reine tantôt le premier de ces deux noms, tantôt le dernier. Peut-être aussi que Déjotarus eut deux femmes, l’une nommée Stratonice, l’autre nommée Bérénice.

  1. Cicer., in Bruto, cap. V.
  2. Voyez Fabricus, dans la Vie de Cicéron, à l’ann. 707.
  3. De (Bruto) Cæsarem solitum dicere, magni refert hic quid velit : sed quidquid volt, valdè volt ; idque animadvertisse, cum pro Dejotaro Niceæ dixrerit, valdè vehementer eum visum et liberè dicere. Cicero ad Allicum, epist. I, lib. XIV.
  4. Plut., in Bruto, pag. 986.
  5. Elle s’appelait Electra.
  6. Tiré de Plutarque, au Traité de Virtutibus Mulierum, pag. 258.
  7. Plut., adversus Colotem, pag. 1109, B.