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DÉJOTARUS.

Cicéron parler à sa décharge. On prend l’un pour l’autre dans ce passage : Déjotarus pour Ligarius. Voyez l’article Ligarius, remarque (A).

(F) Il n’était point aussi débonnaire que Cicéron le représente. ] On reprochait à Déjotarus d’avoir appliqué un vers à deux nouvelles qu’il avait reçues en même temps, l’une bonne, l’autre mauvaise ; l’une que Domitius, son ami, avait fait naufrage ; l’autre que César était assiégé dans un château. Cicéron, voulant montrer que c’était une calomnie, dit, entre autres choses, que Déjotarus est un homme débonnaire, et que le vers dont il s’agit est le plus barbare du monde. Périssent nos amis, pourvu que nos ennemis périssent aussi. C’est le sens de ce vers-là. Quùm esset ei nuntiatum Domitium naufragio periisse, te in castello circumsideri, de Domitio dixit versum græcum eâdem sententiâ quâ etiam nos habemus latinum, Pereant amici, dum unà inimici intercidant. Quod ille si esset tibi inimicissimus nunquàm tamen dixisset : ipse enim mansuetus, versus immanis [1]. Plutarque a représenté Déjotarus sous une toute autre idée. Selon Chrysippe, dit-il, Dieu ressemble à Déjotarus, roi des Galates, qui ayant plusieurs enfans les tua tous, excepté celui auquel il voulait laisser son royaume. Pour bien entendre ceci, il faut voir un peu au long et ce qui précède et ce qui suit. Comme les villes et citez, quand elles sont trop pleines de peuples, en ostent ou envoyent des colonies au loin, et commencent des guerres contre quelques-uns : aussi Dieu, selon Chrysippe, envoye les commencemens de quelque mortalité, et cite pour tesmoin Euripides, et les autres qui disent que la guerre de Troye fut envoyée par les dieux pour espuiser la trop grande multitude du peuple... Considerez comment Chrysippe donne à Dieu tousjours les plus beaux noms, et les plus humaines appellations du monde, et au contraire les effets sauvages, cruels, barbares, et Galactiques ; car à ses colonies que les citez envoyent dehors ne ressemblent point proprement ces grandes mortalitez et pertes d’hommes, comme celle qu’amena la guerre de Troye ou celle des Medes, ou la Peloponnesiaque ; si ce n’est que ces gens-ci sachent qu’il y a quelque ville qui se fonde et se peuple dessous la terre aux enfers. Mais Chrysippus fait Dieu semblable à Dejotarus, le roi de Galatie, lequel ayant plusieurs enfans, et voulant laisser son estat et royaume à l’un d’iceux seul, il tua lui-mesme tous les autres, comme s’il eust coupé et taillé les branches d’un cep de vigne, afin que celle qui demeure en devienne plus grande et plus forte [2], combien que le vigneron le face lorsque les branches sont encore petites et foibles. Et nous quand les petits chiens sont encore si jeunes qu’ils ne voyent goute, pour espargner la chienne, nous lui en ostons plusieurs : là où Jupiter ne laisse pas tellement croistre et venir en aage parfait les hommes, ains lui-mesme les faisant naistre, et leur donnant croissance, les tourmente puis après en leur préparant occasions de corruption et de mort, là où il faloit plustost ne leur donner point de causes et de principes de naissance [3]. Ces paroles de Plutarque contiennent une comparaison qui me fait souvenir d’une sottise de Vanini, que j’ai lue dans la Doctrine curieuse du père Garasse, à la page 815. « Pour les hommes, disait-il, faudroit faire comme les buscherons font tous les ans dans les grandes forests : ils y entrent pour les visiter, pour recognoistre le mort bois ou le bois vert, et effemesler la forest, retrenchant tout ce qui est inutile et superflu, ou dommageable, pour retenir seulement les bons arbres, ou les jeunes baliveaux d’esperance. Tout de mesme, disoit

  1. Cicero, pro Dejotaro, cap. IX.
  2. Τῷ Γαλάτῃ Δηϊοτάρῳ ποιεῖ Χρύσιππος ὅμοιον τὸν Θεὸν, ὅς, πλειόνων αὐτῷ παίδων γεγονότων, ἐνὶ βουλόμενος τὴν ἀρχὴν ἀπολιπεῖν καὶ τὸν οἶκον, ἀπαντας ἐκείνους ἀπέσϕαξεν, ὥσπερ αμπέλου βλαςοὺς άποτεμὼν καὶ κολούσας, ἵνα εἷς ὁ λειϕθείς ἰσχυρὸς γένηται καὶ μέγας. Dejotaro Galatæ similem Deum Chrysippus facit. Qui cùm haberet complures filios, cum vellet uni regnum domumque relinquere, cæteros omnes necavit : tanquam vitis palmites si præcideret, ut unus aliquis superstes validus magnusque fieret. Plutarch., de Stoïc. Repugn., pag. 1049, C.
  3. Plut., de Stoïc. Repugn., pag. 1049, C, version d’Amyot.