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DÉJOTARUS.

cré : il arma donc contre lui et l’en chassa. Il était entêté de superstitions pour les augures autant qu’homme du monde (I). Cicéron a fait sur cela de fort bonnes réflexions (K). On ne démêle pas bien en quel temps Brutus plaida fortement auprès de César la cause de Déjotarus (L). Si l’on pouvait comparer les femmes du Vieux Testament avec celles du paganisme, on mettrait en parallèle Sara, femme d’Abraham, avec Stratonice, femme de Déjotarus (M). Ce dernier répondit habilement à la raillerie de Crassus touchant sa vieillesse (N). M. Moréri n’a donné ici qu’un petit article : la matière était pourtant bien fertile ; il n’y avait qu’à prendre la peine de la rassembler. Sa brièveté n’empêche pas qu’il n’ait fait de grosses fautes (O). On les trouvera ci-dessous dans la dernière remarque.

(A) Il rendit de bons services aux Romains dans toutes leurs guerres d’Asie. ] Cicéron en parle magnifiquement ; voici ses paroles [1] : Quid de patre (Dejotaro) dicam ? cujus benevolentia in populum Romanum est ipsius æqualis ætati : qui non solùm socius imperatorum nostrorum fuit in bellis, verùm etiam dux copiarum suarum. Quæ de illo viro Sulla, quæ Murena, quæ Servilius, quæ Lucullus ? quàm ornatè, quàm honorificè, quàm graviter sæpè in senatu prædicaverunt ? Quid de Cn. Pompeio loquar ? qui unum Dejotarum in toto orbe terrarum ex animo amicum, verèque benevolum, unum, fidelem populo R. judicavit. Fuimus imperatores ego, et M. Bibulus in propinquis finitimisque provinciis : ab eodem rege adjuti sumus, et equitatu, et pedestribus copiis. Voyez aussi ce qu’il écrivit pendant qu’il commandait dans la Cilicie [2].

(B) Déjotarus se déclara pour Pompée. ] Immédiatement après le latin que l’on vient de lire, Cicéron continue de cette manière : Secutum est hoc acerbissimum et calamitosissimum civile bellum : in quo quid faciendum Dejotaro ? quid omninò rectius fuerit, dicere non est necesse, præsertim cùm contra, ac Dejotarus sensit, victoria belli judicârit. Quo in bello si fuit error, communis ei fuit cum senatu : sin recta sententia, victa quidem caussa vituperanda est. Ces paroles nous apprennent que Déjotarus avait cru que Pompée triompherait : il s’était donc engagé à ce parti tant par des raisons de politique, que par des raisons de justice. Nous verrons dans les remarques suivantes qu’il crut toujours s’être déclaré pour la bonne cause, mais qu’il se garda bien de parler selon ses pensées devant César.

(C) Après avoir essuyé quelques fortes réprimandes, il trouva grâce devant César. ] Il demanda pardon à César d’avoir combattu contre lui à la journée de Pharsale : il lui représenta la situation de son pays, qui l’avait mis hors d’état d’être maintenu par les troupes de César : il ajouta que ce n’était point à lui de se rendre juge des différens du peuple romain, mais d’obéir en toutes rencontres à ceux qui étaient en possession du commandement. Dans le vrai c’étaient de fausses excuses ; car il avait été fortement persuadé que la cause de Pompée était celle de la patrie, et que César était un sujet rebelle. Il s’était donc porté pour juge des différens du peuple romain. On ne doit pourtant pas trouver étrange qu’il ait caché ses pensées ; car il n’y a guère que des saints du plus haut étage, ou des philosophes pleins de mépris pour les biens du monde, qui puissent avoir l’ingénuité qu’il n’eut pas. Toutes ses excuses furent rejetées : on lui dit que son imprudence était visible, et qu’il n’avait pu ignorer que César était le maître de Rome, c’est-à-dire du siége du sénat, et du centre de l’autorité du peuple romain. Ceci soit dit en faveur de ceux qui n’entendent pas le latin ; car ceux qui l’entendent aimeront mieux que je leur cite les paroles d’Hirtius. Les voici donc [3] :

  1. Philippica XI, cap. XIII.
  2. Idem, epist. IV libri XV ad Famil.
  3. Hirtius, de Bello Alexandrino, c. LXVII.