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DAURAT.

Marthe, qui n’en disent rien : il fallait citer La Croix du Maine [1] et Du Verdier Vau-Privas. Les paroles de ce dernier sont remarquables : Dorat, dit [2], se mêlait d’interpréter les songes : il faisait cas des centuries de Nostradamus contenant certaines prophéties auxquelles il a donné des interprétations confirmées par plusieurs événemens, et disait que Michel Notre-Dame [3] les avait escrits un ange les lui dictant.

(K) Il se remaria......... avec une fille de dix-neuf ans.] C’est ainsi qu’il faut traduire ces paroles de Sainte-Marthe, undeviginti annorum puella MM. Moréri, Teissier[4]MM. Bullart [5], qui donnent vingt-deux ans à cette fille, auraient sans doute bien de la peine à en donner pour garant un auteur contemporain, qui valût celui que je leur oppose. M. Ménage ne lui en a donné que dix-huit [6].

(L) Pour l’honneur de la jeune mariée. ] En effet, M. de Thou a dit que ce qui diminua le regret de la mort de Daurat, est que la vieillesse l’avait rendu incapable de toutes les fonctions de sa charge [7]. Qui ne le croirait sur cela hors d’état de faire un enfant ? Qui croirait qu’un bon vieillard, qui aurait perdu la force d’expliquer un vers d’Homère à ses écoliers, aurait conservé la force de consommer un mariage avec une jeune fille ? Ainsi l’on ne pourrait ajouter foi littéralement au narré de M. de Thou, sans entrer dans de violens soupçons contre la jeune épouse de notre poëte, comme si elle avait pratiqué la maxime qu’une habile femme ne manque jamais d’héritiers, ou comme si son mari eût pu s’appliquer avec beaucoup de raison l’ancienne sentence :

Qu’autant vieillard à la barbe fleurie,
Pour ses voisins que pour lui se marie.


C’est ainsi qu’Amyot traduit ces paroles grecques proférées par un homme âgé : Γαμῶ γέρων, εὐ οἶδα, καὶ τοῖς γείτοσι, Duco uxorem, probe scio, vicinis quoque [8]. Au fond, rien ne paraîtrait plus contradictoire à ceux qui paient les pensions des professeurs et des ministres, que de voir que pour faire déclarer emeritus un homme dont la femme serait grosse, on alléguerait que l’âge l’aurait rendu entièrement incapable de monter en chaire.

Notez qu’il y a des gens [9] qui disent qu’un peu devant que de mourir il avait épousé une jeune servante, bien qu’âgé de quatre-vingts ans..., et qu’on ne dit point qu’il eût d’enfans de cette servante [10], comme il en avait eu d’une fort honnête dame qu’il avait épousée en premières noces. Voici donc un homme à mettre dans le catalogue dont M. Ménage a fait mention [11] [* 1].

(M) Il maria une fille...... à........ N. Goulu, en faveur duquel il se défit de sa charge de professeur royal en langue grecque. ] Sainte Marthe, sans marquer le temps, dit que Daurat, ayant été fait poëta regius, résigna sa charge de professeur à Goulu son gendre. M. de Thou parle de la chose d’une façon encore plus vague : il se contente de dire [12] qu’après que Daurat eut exercé long-temps la charge de professeur au collége royal, il devint emeritus, il renonça aux fonctions de cet emploi, et jouit d’une pension qui lui fut payée jusques à sa mort. Mais du Breul nous marque le temps ; car il dit que Nicolas Goulu fut pourvu à la place d’Aurat par brevet du roi du 8e. jour de novembre 1567 [13]. Sur tout cela, j’ai deux remarques à faire : l’une, que M. de

  1. * C’est-à-dire, des hommes qui ont épousé leurs servantes ; mais Leclerc et Joly sont loin de regarder comme prouvé que la seconde femme de Daurat fût une servante.
  1. Biblioth., pag. 330.
  2. Prosopographie, tom. III, pag. 2575.
  3. Il y a dans l’imprimé, et disait Michel que Nostre-Dame. C’est visiblement une faute d’impression.
  4. Éloges, tom. II, pag. 110.
  5. Bullart, Académie des Sciences, vol. II, pag. 360.
  6. Remarques sur la Vie d’Ayrault, pag. 187.
  7. C’est ainsi qu’on a traduit ce latin, ob senium inutilis ejus opera esse cœpisset.
  8. Plut., An seni sit gerenda Respub. pag. 789.
  9. Pierre de Saint-Romuald, Journal chronologique et historique, au 6 d’octobre, pag. m. 396. Il met la mort de Ronsard à ce jour-là 1589.
  10. Cela est faux. Voyez la remarque (G), citation (24).
  11. Voyez l’article Briséis, citat. (15), tome IV, pag. 141.
  12. Lib. LXXXIX, sub fin.
  13. Du Breul, Antiquités de Paris, pag. 565.