un stoïque constipé qui ne rit de rien : c’est pourquoi, quoi qu’on dise de l’héroïque, il s’en faut bien qu’il soit de si difficile accès que le fin burlesque, qui est le dernier effort de l’imagination et la pierre de touche du bel esprit, et non pas encore de tout esprit ; car pour y réussir il ne suffit pas d’avoir de l’esprit comme un autre, il faut être doué d’un génie particulier, qui est si rare, principalement en notre climat, que hors de deux personnes dont la France veut que je sois l’une, chacun sait que tout ce qui s’est mêlé de ce burlesque n’a fait que barbouiller du papier..... Si l’on me demande pourquoi ce burlesque qui a tant de parties excellentes et de détours agréables, pour avoir si longtemps diverti la France, a cessé de divertir notre cour ; c’est que Scarron a cessé de vivre, et que j’ai cessé d’écrire ; et si je voulais continuer mon Ovide en belle humeur, cette même cour qui se divertit encore aujourd’hui des vers que je lui présente, s’en divertirait comme auparavant, et mes libraires qui ont réimprimé tant de fois cet ouvrage, en feraient encore autant d’éditions [1]. Un homme qui déclare si franchement la haute opinion qu’il a conçue de ses poésies, sera si l’on veut un témoin peu digne de foi à l’égard des louanges qu’il se distribue à soi-même, mais lorsqu’il déclarera qu’il a été fort sensible à l’injure contenue dans ces paroles de M. Boileau,
Et jusqu’à d’Assouci tout trouva des lecteurs,
il doit passer pour un témoin très-sincère,
« Ha ! cher lecteur, si tu
savais comme ce tout trouva me
tient au cœur, tu plaindrais ma
destinée : j’en suis inconsolable, et
je ne puis revenir de ma pâmoison,
principalement quand je pense
qu’au préjudice de mes titres dans
ce vers, qui me tient lieu d’un
arrêt de la cour du parlement, je
me vois déchu de tous mes honneurs,
et que ce Charles d’Assoucy
d’empereur du burlesque qu’il était,
premier de ce nom, il n’est aujourd’hui,
si on le veut croire, que le
dernier reptile du Parnasse et le
marmiton des muses. Que faire,
lecteur, dans cette extrémité, après
l’excommunication qu’il a jetée sur
ce pauvre burlesque si disgracié ?
qui daignera le lire, ni seulement
le regarder dans le monde sur peine
de sa malédiction [2] ? » Il se console
par la pensée que la jalousie a
été la cause de cette censure foudroyante
[3] : Voilà, cher lecteur,
ce que l’on gagne à faire de bons vers
burlesques, car si j’en eusse fait
d’aussi méchans que mon poëte [4],
il [5] m’aurait laissé vivre aussi-bien
que l’auteur de l’Ovide bouffon. Mais
quoi ! il n’est pas nouveau de voir des
esprits jaloux pester contre les choses
excellentes, et de blâmer ce qui surpasse
leur capacité. Mettons ici le jugement
qu’il a fait de la poésie impertinente
au souverain point. Elle
fait rire, dit-il [6],..... mais il ne
suffit pas de rencontrer dans son plus
haut degré cette impertinence, qui
est si nécessaire à cette sorte de vers,
il faut qu’elle soit encore accompagnée
d’une certaine naïveté, que
les meilleurs esprits ne sauraient
comprendre, et que tant plus on est
excellent, on peut moins imiter,
comme il paraît clairement dans la
grande Bible des noëls, où, bien que
plusieurs beaux esprits se soient efforcés
d’imiter dans leurs noëls nouveaux
ces précieux noëls de l’antiquité,
aucun n’en a trouvé, ni n’en
trouvera jamais le secret ; et les vieux
noëls, toujours préférés partout et
en toute rencontre aux nouveaux,
seront toujours d’autant plus honorés
et plus estimés dans tous les siècles,
qu’ils sont plus sots et plus excellemment
remplis de cette admirable sorte
d’impertinence et de naïveté ; car enfin
est-il quelqu’homme de bon sens, qui
sache de quoi il faut rire, et quand
on doit rire, qui ne rie de tout son
cœur voyant ces vers que j’ai tirés
d’un livre qui fut vendu vingt pistoles
à un encan, intitulé, Les pois pilés.
C’était le Christ qui prenait congé
de saint Matthieu, en ces termes :