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DANTE.

de son temps aux grandes écoles de la rue aux Fouerres, la doctrine duquel ne fut, comme il dit, sans envie.

Questi, ond’a me ritorna il tu’ rigardo
E il lume d’uno spirto che’n pensieri
Gravi a morire, gli parv’ esser tardo.
Essa è la luce eterna di Siggieri
Che leggendo nel vico de li strami
Sillogizzo invidiosi veri.

Pour savoir si les paroles de Boccace prouvent invinciblement que notre poëte ait étudié à Paris, depuis son exil, il est nécessaire de considérer ce qui les précède. Boccace venait de dire, Fuit inter cives suos egregiâ nobilitate verendus : et quantumcumque tenues essent illi substantiæ, et à curâ familiari, et postremò à longo exilio angeretur, semper tamen physicis atque theologicis imbutus vacavit studiis, et adhuc Julia fatetur Parisius, in eddem sæpissimè adersùs quoscunque, etc.[1]. Il est clair que ce passage témoigne que Dante exilé disputait souvent à toute outrance dans les colléges de Paris. Néanmoins, je connais quelques personnes qui s’imaginent que Boccace s’est trompé au temps : ils ne sauraient se persuader que Dante, qui avait été l’un des principaux gouverneurs des Florentins, et qui était animé d’une envie extrême de rétablir sa faction, se soit amusé à ergotiser dans les colléges à l’âge de plus de trente-cinq ans[2]. Ils croient donc qu’il ne fit paraître cette humeur si disputeuse dans les écoles de Paris, que lorsqu’il était un jeune écolier, et qu’avant d’être promu au conseil des huit. Ils disent qu’il fut disciple de Brunettus à Paris, et que cet homme mourut avant que Dante fût exilé. Ils le prouvent par le chant Xe. de l’Enfer[3]. Il est sûr que l’on y trouve que notre Dante avait été le disciple de défunt Brunetto Latinus.

Se fosse tutto pieno il mio domando,
Rispos’ io lui, voi non sareste anchora
Dell’ humana natura posto in bando,
Che’n la mente m’e fitta, ed hor m’accora
La cara, buona imagine paterna
Di voi, quande nel mondo ad hora ad hora
Mi mostravate, come l’huom s’eterna,
E quant’io l’habbia in grado mentre vivo
Convien, che nclla mia lingua si scerna[4].

Mais on n’y trouve point quelle est la ville où il l’eut pour maître. Quoi qu’il en soit, rapportons la note de Grangier sur ces parole de Dante, siete voi quì ser Brunetto, « Messire Brunetto Latin fut de Florence, un notaire ou secrétaire beaucoup estimé et versé en son art, mais d’une conscience assez mauvaise, dont étant accusé d’avoir commis plusieurs faussetés, il s’en alla demeurer à Paris, là où lisant publiquement la physique, il fut maître de Dante, et comme mathématicien ou astrologue lui prédit qu’il devait être l’un des plus doctes de son temps. Pour le vice de Sodomie notre poëte feint qu’il le trouve en ce lieu damné avec les sodomites[5]. » Joignez à cela que Dante suppose[6] que le professeur Séguier était mort. Il y a donc de l’apparence qu’il l’avait ouï et connu avant le temps où il feint qu’il fut conduit au paradis. Or ce temps devance son bannissement. Enfin, on peut observer que bien des auteurs, qui parlent de ce qu’il fit depuis sa disgrâce, ne font mention que des retraites qu’il alla chercher chez des princes d’Italie.

Selon Volaterran[7], il se retira d’abord avec ceux de sa faction chez Martel de Malespine : il alla ensuite à Vérone, auprès de Can de l’Escale ; et enfin à Ravenne, auprès de Guy Polentan, quatre ans après son exil. L’ordre, ni les temps, n’ont pas été bien observés dans ce récit. Nous apprenons de Dante même, qu’il se retira premièrement à Vérone, chez un seigneur de l’Escale[8] :

Il primo tuo rifuggio, e’l primo hostello
Sarà la cortesia del gran Lombardo,

  1. Boccatius, de Geneal. Deor., lib. XV, cap. VI ; apud Papyr. Masson., Elogior. tom. II, pag. 213.
  2. Selon Buonanni, qui met sa naissance à l’an 1260, il en eût eu plus de quarante un. Voyez son Discours sur le chant XXI de l’Enfer, pag. 137.
  3. Dante suppose qu’il le trouva dans l’enfer ; or, il supporte que son voyage en enfer se fit l’an 1300, et il ne fut banni qu’en 1301.
  4. Dante, canto XV de l’Inferoo, pag. m. 116.
  5. Grangier, sur le XVe. chant de l’Enfer de Dante, pag. 166, 167.
  6. Au Xe. chant du Paradis, pag. m. 230.
  7. Volaterran., Comment. Urbau., lib. XXI, pag. 771.
  8. Grangier, sur cet endroit de Dante, l’appelle Albouin, et le fait frère aîné de Can le Grand.