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DANTE.

salut. Après quoi il parle ainsi : « Coëffeteau voudrait-il bien conseiller à tous chrétiens, pour s’affermir contre la légèreté en créance, de prendre le Vieux et le Nouveau Testament ? Il s’en gardera bien. Mais il n’a point de honte d’attribuer au pape, qu’il est le pasteur qui nous suffit à salut ; et voudrait bien que Dante eût ainsi blasphémé, qui sans doute a parlé du vrai Sauveur qui nous guide par le Vieil et le Nouveau Testament. » Nous avons ici un illustre exemple des illusions où l’on peut tomber, quand on s’arrête au premier sens que les expressions d’un homme offrent à l’esprit. Ceux qui lisent ces six vers de Dante, et qui les prennent in sensu obvio quem ipsamet propositionum verba præ se ferunt[1] ; qui les entendent, dis-je, de la manière qu’Innocent XI veut que l’on entende les cinq propositions de Jansénius, croyaient que ce poëte a voulu dire qu’il ne faut, pour être sauvé, que se conformer au Vieux et Nouveau Testament, et suivre la voie que le pape comme pasteur de l’église nous montre. Mais peut-être n’est-ce point là le vrai sens de Dante : peut-être a-t-il voulu dire ce que Rivet lui attribue. Apprenons de là qu’un auteur, qui veut éviter que des siècles à venir n’interprètent de plusieurs façons contraires ce qu’il a dit, souhaite une chose presque impossible. Si l’on prévoyait les controverses qui s’élèveront dans trois ou quatre cents ans, on s’exprimerait d’une manière plus précise ; mais je ne sais si les langues fourniraient autant de termes qu’il en faudrait pour ôter les équivoques, et pour obvier aux chicanes.

Prenez garde à une chose, c’est que Dante fournit des preuves, et à ceux qui disent qu’il était bon catholique, et à ceux qui disent qu’il ne l’était pas. L’auteur de l’Aviso a la bella Italia à recueilli les dernières : Bellarmin a recueilli les premières ; et d’ailleurs il a éludé le mieux qu’il a pu tous les passages de cet Aviso. Gretser nous renvoie à ce cardinal ; et c’est presque toute la réponse qu’il a faite au passage de M. du Plessis. In Dante, dit-il[2], luculentissima testimonia pro pontificis romani auctoritate, proque omnibus illis capitibus, quæ Plessæus et Illyricus attingunt, inveniuntur. Quâ de re operæ pretium erit legere Bellarminum in libello proprio contra Italum quendam calumniatorem, qui ex Dante potissimùm, Romani pontificis majestatem labefactare nitebatur : ad omnia enim profani hominis objecta respondit illustrissimus Bellarminus : et cap. 19 plurima loca ex Dante producit, quæ cum Plessæi et Illyrici delirationibus non magis consonant, quàm dies cum nocte, æther cum Tartaro.

(K) Il trouva des patrons illustres dans sa disgrâce, mais il ne sut pas toujours conserver leur affection. ] Je trouve quelque désordre dans les récits qui concernent ses voyages après son bannissement. Quelques auteurs disent que, se voyant exilé, il sentit croître en son âme le désir de l’érudition, et qu’il s’en alla premièrement à Bologne, pour s’y appliquer aux sciences les plus relevées, et puis à Paris. Exulem ubi se vidit, tum verò magis incensus est studio liberalium artium, ac Bononiæ primùm dedit operam gravioribus scientiis, indèque Lutetiam Parisiorum profectus est. C’est ce que Papyre Masson assure [3]. M. Bullart spécifie qu’il passa de Bologne à Paris, pour y apprendre la philosophie et les principes de la théologie [4]. Naudé débite[5] que Boccace nous a laissé par écrit que Dante, étant chassé de Florence par la violence des factions noire et blanche [6], se retira à Paris, et fréquentait fort en l’université[* 1], ubi sæpissimé adversùs quoscumque circa quamcumque facultatem volentes responsionibus aut positionibus objicere disputans intravit Gymnasium : et lui-même fait grande estime, au Xe. chant de son Paradis, d’un Séguier, excellent philosophe et dialecticien, qui lisait

  1. (*) Lib. 15 Genealog., cap. 6.
  1. Ces paroles sont tirées d’un bref d’Innocent XII aux évêques du Pays-Bas, daté du 6 de février 1694.
  2. Gretserus, Exam. Mysterii Plessæani, pag. 463.
  3. Papyr. Masso, Elog., tom. II, pag. 18.
  4. Bullart, Académie des Sciences, tom. II, pag. 307.
  5. Naudé, Additions à l’Histoire de Louis XI, pag. 175, 176.
  6. Il n’en fut chassé que par la faction des Noirs.