Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
379
DANTE.

milité ; qu’au contraire, chacun tasche à se faire valoir par ses inventions, et l’Évangile se taist ; les questions vaines, les fables retentissent sur la chaire toute l’année, et s’en retournent les povres brebis repeues du vent ; et plusieurs autres lieux s’en pourroient tirer contre les pardons et indulgences du pape, et autres abus de l’eglise romaine, qu’il nous dépeint de sorte qu’il est aisé de voir qu’il avoit bien remarqué la paillarde de l’Apocalypse [* 1]. » Coëffeteau, répondant à ce passage[1], observe, 1°. que Dante était Gibelin[2], et plein de ressentiment des maux que lui avait faits la faction contraire ; 2°. que Dante avoue et la donation et la cause qu’on allègue de la donation, à savoir la guérison de la lèpre de Constantin. Bien est-il vrai qu’en ce livre de la monarchie [* 2], il tâche de prouver que Constantin ne l’a pu faire, d’autant que c’était démembrer l’empire : mais un poëte n’est pas juge de cette matière d’état ; 3°. qu’en ce qu’il a dit des traditions, il n’y a point de mal, moyennant qu’il soit sainement entendu ; 4°. qu’il ne blâme que les papes de son temps, qu’il traite comme ennemis et persécuteurs de sa faction ; 5°. que quand il parle de ces pontifes, il proteste de révérer leur dignité, encore qu’il blâme leurs personnes ; 6°. qu’il n’a condamné que les imposteurs qui prêchaient de fausses indulgences, ou faisaient un sordide trafic des vraies. Voici quelques vers du Dante rapportés par Coëffeteau comme une preuve d’orthodoxie à l’égard de la soumission qui est due au pape.

Siate, Christiani, a movervi più tardi[3] ;
Non siate come penne ad ogni vento,
E non crediate ch’ogni acqua vi lavi :
Havete il Vecchio, e’l Novo Testamento,
E’l pastor de la chiesa, che vi guida :
Questo vi basti a vostro salvamento[* 3].

Rivet répond à cela[4] que l’auteur du livret italien intitulé Aviso piacevole dato a la bella Italia, avait recueilli les principales pièces, sur lesquelles Bellarmin a fourni de défenses à Coëffeteau ; qu’il faut donc que le lecteur, qui voudra entrer en examen de ces choses, confère à Bellarmin les animadversions du docte Junius, esquelles il trouvera de solides confirmations contre toutes ces illusions et élusions, et verra clairement que cet homme voyait l’Antechrist en un siége respecté par lui, mais duquel il déplorait la profanation, enfin l’homme de péché qu’il détestait, au temple de Dieu qu’il révérait. Rivet exhorte les adversaires à prendre garde à ces vers de Dante :

Di voi pastor s’accorse l’Uvangelista,
Quando colei chi siede sopra l’acque
Puttanggiar co’ i regi a lui fu vista
Quella che con le sette teste nacque,
E da le dieci corna hebbe argumento
Fin che virtute al suo marito piacque[* 4].

Là certes, poursuit ce ministre[5], il reconnaît que saint Jean au XVIIe. de l’Apoc. a parlé du pape, sous le nom de la paillarde assise sur les eaux, et de la bête à sept têtes et dix cornes, quoi que d’ailleurs il die du siége et de la puissance des clefs. Il n’y a personne qui nie que ces choses considérées en elles, en toute église ne soient recommandables. Mais si elles sont usurpées par un tyran, rien n’empêche aussi qu’on ne le décrive tel qu’il est..... Quant au fait de la donation de Constantin, qui y prendra bien garde trouvera qu’il en a rapporté l’opinion commune et reçue de son temps[6], par forme de concession, non sa créance, laquelle n’a jamais consenti à une telle absurdité. Pour ce qui concerne les six vers rapportés par Coëffeteau, voici comment son antagoniste les traduit. Soyez, ô chrétiens, plus tardifs à vous émouvoir : ne soyez comme plumes à tout vent, et ne croyez que toute eau vous lave : vous avez le Vieux et le Nouveau Testament, le pasteur de l’église qui vous conduit. Celui-là suffit à votre

  1. (*) Dante, del Paradiso, c. 9 et 29 ; et del Purgatorio, c. 32.
  2. (*) Dantes Alig., lib. 3 de Monarch., cap. ultim.
  3. (*) Cant. V del Paradiso,
  4. (*) Canto XIX del Inferno.
  1. Coëffeteau, Réponse au Mystère d’iniquité, pag. 1032, 1033.
  2. Les Gibelins étaient le parti opposé aux papes.
  3. Grangier traduit ainsi ce premier vers :

    Pour les vœux, ô chrétiens, soyez d’un cœur plus grave.

    Le poëte venait de parler des vœux téméraires.

  4. Rivet, Remarques sur la Réponse au Mystère d’iniquité, IIe. part., pag. 494 et suiv.
  5. Rivet, Remarques sur la Réponse au Mystère d’iniquité, IIe. partie, pag. 495.
  6. Voyez le chant XIX de l’Enfer, pag. m. 236.