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DANTE.

traite honorable auprès de Guy Polentan prince de Ravenne, quand la république de Venise se prépara à la guerre contre ce prince[1]. Celui-ci le dépêcha à Venise, pour y traiter de la paix. Les Vénitiens firent les fiers ; ils ne voulurent ni recevoir Dante, ni l’écouter. Il retourna donc à Ravenne, sans aucun fruit de son voyage, et il tomba peu après dans la maladie dont il mourut, et dont le chagrin passa pour la cause. Revertens itaque Ravennam rebus infectis paulò post morbo contracto, uti existimatur, ex animi dolore extinctus est[2]. Papyre Masson a parlé de cette ambassade, sans rien dire du mauvais succès : il insinue au contraire que Dante fut bien reçu ; car il prétend qu’on lui fit voir l’arsenal, et que Dante même raconte cela[3]. Il n’y a rien de plus faux que ce dernier fait : et peut-être que l’autre n’est pas plus vrai. Pour ce qui concerne l’épitaphe, voici mon auteur[4]. Obiit adeò mentis compos, quòd sex versus in extremo vitæ suæ edidit, postmodùm in proprio tumulo incisos ; et sunt hi,

Jura monarchiæ, Superos, Phlegetonta, Lacusque
Lustrando cecini, voluerunt fata quousque :
Sed quia pars cessit melioribus hospita castris,
Auctoremque suum petiit felicior astris,
Hic claudor Danthes, patriis extorris ab oris,
Quem genuit parvi Florentia maler amoris.


M. Moréri ne devait pas oublier la circonstance de temps, lorsqu’il a dit que Dante s’était lui-même composé cette épitaphe. Il ajoute qu’au commencement du XVIe. siècle, Bernard Bembo fit refaire le tombeau. Cela ne s’accorde point avec le Poccianti, qui marque que cette réparation fut faite l’an 1433[5] ; mais il y a tant de fautes d’impression dans le livre de cet Italien, que je me garderais bien de garantir la justesse de cette date.

(F) Il fit entrer plus de feu et plus de force dans quelques-uns de ses livres qu’il n’y en eût mis s’il avait jour d’une condition plus tranquille. ] Cette observation est de Paul Jove. Sed exilium, dit-il[6], vel toto Etruriæ principatu ei majus et gloriosius fuit, quùm illam sub amarâ cogitatione excitatam, occulti, divinique ingenii vim exacuerit, et inflammârit. Enata si quidem est in exilio Comædia triplex Platonicæ eruditionis lumine perillustris, ut, abdicatâ patriâ, totius Italiæ civitate donaretur. Latomus explique la même pensée dans les six vers qu’il a faits sur Dante, et que vous pourrez trouver dans Paul Jove [7]. La question est si le souvenir de son exil n’excitait pas trop de colère ; car il arrive souvent que ceux qui écrivent en cet état outrent la satire. Rapportons la paraphrase de M. Bullart [8] : Il médita de prendre des auteurs de son exil cette vengeance signalée que l’on voit éclater dans son triple poëme du Paradis, du Purgatoire et de l’Enfer. Il détrempa sa plume dans le fiel de sa colère, autant que dans les sources vives de l’Hélicon : il joignit l’aigreur de son âme à la douceur de sa poésie : il fut animée en un même temps de sa docte muse, et de son ressentiment. Les partialités des grands, avec la corruption des mœurs, fournissant à son esprit toute la matière qu’il pouvait désirer pour un semblable sujet, il déploya aux yeux de toute l’Italie cette satire merveilleuse, qui portant ses traits jusqu’aux trônes des souverains pontifes, des empereurs, et des rois de la terre, découvre leurs actions privées avec une licence qui semble ne redouter ni leur puissance, ni leur indignation. Il noircit particulièrement la réputation du pape Boniface VIII, parce qu’il avait appuyé le parti de ses persécuteurs. Il déshonore par ses vers la mémoire et la race de Charles de Valois, le principal instrument de son exil ; disant que Hugues Capet était fils d’un boucher........ Dante pousse

  1. Volaterranus, Comment. Urban., lib. XXI, pag. 771.
  2. Idem, ibidem.
  3. Lustravitque navalem apparatum urbis et armentarium sumptu atque opere visendum, ut primis statim verbis Cantici vigesimi primi Inferorum indicat. Papyr. Masso, Elogior. tom. II, pag. 21.
  4. Pocciantius, de Script. Florent., pag. 45. 46. Voyez aussi Paul Jove, Elogior. cap. IV, pag. 9. Je corrige les fautes d’impression qui sont aux vers de l’épitaphe dans le Poccianti.
  5. Poccianti, ibid., pag. 46.
  6. Jovius, Elogiorum cap. IV, pag. 19.
  7. Ibidem, pag. 20.
  8. Bullart, Académie des Sciences, tom. II, pag. 307.