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DANTE.

tes latins pour conducteur en des routes si obscures et si malaisées[1]. Il est sûr que cette Gentucca ne fut point la première maîtresse de Dante : il ne l’aima qu’après avoir été exilé ; il l’aima pendant le séjour qu’il fit à Lucques depuis son bannissement[2]. Notez que le nom de ses maîtresses s’est mieux conservé que celui de ses trois femmes. Papyre Masson avoue qu’il ne sait point comment ces trois femmes s’appelaient. Uxores tres habuisse dicitur, quarum incertum est nomen et mihi prorsùs obscurum[3]. Il ajoute que Dante laissa un fils qui fut avocat, et qui s’établit à Vérone, et dont la postérité a été illustre. Il marque entre ses descendans un Pierre Dante, à qui l’on dit que Philelphe adressa la Vie de notre poëte ; et un Dante troisième du nom, qui fut exhorté par les Florentins à revenir à Florence l’an 1495, et qui rejeta leur exhortation. Ils dirent aussi qu’ils quittèrent tous le nom Aligheri, et ne prirent que celui de Dante, et qu’en cela ils témoignèrent que la gloire de leur famille ne venait que de ce grand poëte[4]. Apparemment il ne savait pas ce que Pierius Valerianus nous a appris touchant ce troisième Dante. C’est qu’il mourut dans la dernière misère. Il était docte, et savait faire de bons vers latins. Lorsqu’il commençait à mettre en ordre ses compositions, afin de les publier comme un viatique de son immortalité[5], les ennemis que Jules II avait suscités aux Vénitiens prirent Vérone[6]. Dante, qui s’était sauvé à Mantoue avec sa femme et ses enfans, s’y trouva réduit à l’indigence ; et comme sa vieillesse le rendait moins propre à résister aux duretés d’un si triste état, il tomba malade, et mourut misérablement dans cet exil, après de longues douleurs[7]. Gyraldi a fait mention d’un Dante, que l’on comptait pour le cinquième : Fuêre ex eâdem familiâ, dit-il [8], et ali, in quibus Veronæ natus Danthis et ipse nomine qui, ut audivi, quintus ab illo est, et latinâ et vernaculâ linguâ non sine laude versus scribit.

(C) Votre Dante… fut envoyé en exil. ] La présence de Charles de Valois, bien loin d’assoupir les troubles dont la ville était agitée, ne servit qu’à les augmenter. La faction des Noirs, se sentant favorisée par ce prince, commit mille violences, elle chassa ceux de la faction contraire, elle brûla ou abattit leurs maisons, et cela ne se fit point sans le meurtre de plusieurs personnes. Notre Dante, qui était alors du conseil des huit[9], et l’un des chefs de la ville qui étaient nommés prieurs, avait été député au pape pour négocier une paix. En son absence, il fut condamné au bannissement, sa maison fut abattue, et toutes ses terres furent pillées[10].

(D) Il ne tint pas à lui que sa patrie ne fût exposée à une guerre sanglante. ] Il anima Can de la Scale prince de Vérone à faire la guerre aux Florentins[11], et il mena l’empereur au siége de Florence[12]. On parle d’une lettre qu’il écrivit à ce prince pendant le siége de Bresce[13]. Je m’imagine qu’il y fit une description passionnée des injustices qu’il avait souffertes dans sa patrie, et qu’il exhorta l’empereur à la châtier.

(E) Il mourut dans son exil……… Il eut la force de composer son épitaphe……. un peu avant que d’expirer. ] Ce fut dans Ravenne qu’il mourut, et l’on croit que le chagrin lui causa la mort. Il jouissait d’une re-

  1. Bull., Académie des Sciences, tom. II, pag. 308.
  2. Voyez son Purgat., au chant XXIV, pag. m. 416.
  3. Papyr. Masso, Elogior. tom. II, pag. 27.
  4. Idem, ibid.
  5. Scripta sua cœperat in classes instruere, et immortalitati suæ viaticum comparare. Pierus Valer., de Litterat. infelicitate, pag. 37.
  6. C’était la patrie du troisième Dante.
  7. Ex Pierio Valeriano de Litterator. infelicit., pag. 37.
  8. Lilius Gyrald., de Poët. hist., dial. V, pag. 308.
  9. Octovirali supremæ potestutis magistratu insignem. Paulus Jovius, Elogior. cap. IV, pag. m. 19.
  10. Voyez Sponde, Annal. eccles., ad ann. 1301, num. 3 et 4. Il cite Villani, lib. VIII, cap. XLVIII.
  11. Volater., Comm. Urbanor., lib. XXI, pag. 751.
  12. C’est ainsi que Volaterran s’exprime : Etiam Henricum sextum ad Florentiæ obsidionem ducendo. Idem, ibid. Il fallait dire septimum et non pas sextum.
  13. Voyez le Poccianti, de Script. Florent, pag. 45 ; et Papyr. Masson, Elogior. tom. II, pag. 19.