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DANTE.

Frangipani, et qu’il épousa une demoiselle Ferraraise de la famille Aligheri. On ajoute que le fils de Cacciaguida et de cette demoiselle prit le nom et les armes de sa mère, et que de là vint que la famille de Dante eut le surnom d’Aligheri[1]. Notez que Cacciaguida naquit à Florence l’an 1160[2]. Les ancêtres de Dante, fort attachés au parti des Guelphes[3], furent chassés deux fois de Florence par les Gibelins. Quelques-uns prétendent qu’il faut lui donner les noms de Dante d’Alighieri del Bello, et qu’Alighieri était le nom de son père, et Bello le nom de sa famille. Voyez les preuves qu’en donne Vincent Buonanni [4]. Au reste, le nom de notre poëte était Durantes, dont par abréviation on fit Dantes pendant qu’il était enfant[5]. Grangier se trompe visiblement dans le passage que je vais citer. Il sert de commentaire à quelques vers où Cacciaguida déclare [6] qu’il vaut mieux qu’il ne dise rien de ses ancêtres, ni du lieu qu’ils quittèrent pour se retirer à Florence, que d’en parler. Ce qu’il dit par modestie, ce sont les paroles de Grangier[7], plustost qu’il ne sceust autre plus ancienne origine des siens, ou que par dessus Cacciaguida leur famille aye esté de peu d’estoffe, obscure, et sans noblesse. Car Dante semble désigner en l’Enfer que ses ancestres soient descendus des anciens Romains, qui bastirent Florence, après avoir quitté la colonie de Fiezola ; au XVe. chant, se plaignant de son exil et du tort que luy faisoient les Florentins, il fait ainsi parler ser Brunetto Latini :

Faccian le bestie Fiezolane strame
Di lor medesme, et non tocchin la pianta,
S’alcuna surge ancor nel lor lettame,
lo cui riviva la sementa santa
Di que i Romao, chi vi rimaser quando
Fù fatto il nido di malitia tanta.


Il est sûr que Dante ne veut rien dire de particulier à la louange de ses ancêtres, et qu’il marque uniquement qu’il y avait dans Florence quelques familles qui descendaient des anciens Romains. Combien y a-t-il de villes parmi celles qui ont été des colonies romaines, où de simples artisans issus de personnes de la lie du peuple depuis vingt générations ne mentiraient pas s’ils disaient à tout hasard qu’ils descendent des anciens Romains ? de quoi servirait cela pour prouver que leur famille est illustre, et d’une noblesse relevée ?

(B) Il devint amoureux dès que l’âge le lui permit. ] Voilà comment il me semble que j’ai pu traduire ces paroles de Volaterran, amavit in adolescentiâ Beatricem[8]. Cette Béatrix était fille de Folco Portinaria[9] : quelques-uns prétendent que notre poëte l’aima fort honnêtement, mais que lorsqu’elle fut morte, il se dérégla beaucoup, en s’abandonnant à amour lascif[10]. D’autres disent que l’amour pudicque qu’il lui portoit, fut cause qu’après sa mort il mit la chose vraye à une fantaisie poétique, feignant que Béatrix est la théologie [11]. Ceux qui ont lu son poëme savent que Béatrix y moralise beaucoup, et qu’elle y soutient le personnage d’un docteur grave. Lisez ce qui suit, vous y trouverez d’ailleurs qu’elle ne fut que la seconde maîtresse ; mais défiez-vous de cela. « On remarque qu’il eut deux maîtresses en son jeune âge, l’une nommé Gentucca, de laquelle il devint amoureux étant en la ville de Lucques ; l’autre Béatrix Portinaria, fille de Folco Portinaria, qu’il aima d’une ardente, mais pudique affection. Comme cet amour se mêlait souvent parmi les sublimes conceptions de son esprit, il la voulut éterniser par ses vers, en voilant la théologie sous le beau nom de Béatrix ; et, désirant de suivre les traces de Virgile dans la descente de son Énée aux enfers, il introduit cette fille de l’empyrée, qui vient lui donner ce prince des poë-

    des Sciences, pag. 306, ne devait pas dire le neveu.

  1. Voyez le Paradis de Dante, chant. XVI, pag. m. 339.
  2. Dante, au chant. XVI du Paradis, pag. m. 350.
  3. Le même, au chant X de l’Enfer.
  4. Dans son Discorso sopra l’Inferno de Dante, pag. 2, 3 et 184.
  5. Volaterranus, lib. XXI, pag. 770.
  6. Dans le chant XVI du Paradis.
  7. Grangier, Commentaire sur le Paradis de Dante, pag. 251, 253.
  8. Volater., Comm. Urban, lib. XXI, pag. 771.
  9. Grangier, sur le chant XXX du Purgat. de Dante, pag. 520.
  10. Vincenzio Buonanni, Discorso sopra l’Inferno de Dante, pag. 15.
  11. Grangier, sur le chant XXX du Purgat., pag. 512.