Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/14

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
4
CÉRATINUS.

visiblement faux, pour peu que l’on examine la préface : mais en considérant de près l’expression de Gesner, on le disculpe. Le même Boxhornius ne distingue pas la manière dont Cératinus enseignait le grec dans Louvain. Græcæ (linguæ) professorem egit Lovanii, dit-il : ces paroles sont trompeuses ; elles conduisent tous les lecteurs à se figurer que Cératinus a été professeur en langue grecque dans l’université de Louvain ; ce qui n’est pas. Swert [1], dont Boxhornius a pris l’épitaphe de Cératinus, avec la faute d’impression Minoritidas pour Minoritas, c’est-à-dire, les cordeliers, lui devaient apprendre que Cératinus n’enseignait le grec qu’en particulier, privatim. Valère André emploie le même mot.

  1. Athen., Belg., pag. 358.

CÉRINTHUS, hérésiarque contemporain des apôtres, n’attribuait point à Dieu mais aux anges, la création du monde [a]. Il enseignait que Jésus-Christ était fils de Joseph ; et qu’il fallait retenir sous l’Évangile l’usage de la circoncision. On le regarde comme le chef des juifs convertis qui excitèrent dans l’église d’Antioche [b] le tumulte dont saint Luc a fait l’histoire au chapitre XV des Actes des apôtres. Ils causèrent ce trouble, en déclarant aux fidèles que sans circoncision on ne pouvait pas manquer d’être damné. On dit aussi qu’il fut l’un de ceux qui quelques années auparavant [c], avaient censuré saint Pierre d’avoir annoncé l’Évangile à des gentils [d]. Saint Épiphane, qui assure tout cela [e], ne laisse pas de prétendre que Cérinthus est venu après Carpocrates ; c’est pervertir la chronologie (A). Cérinthus passe pour l’un des principaux chefs des millénaires : on l’accuse d’avoir enseigné qu’après la résurrection l’église demeurerait sur la terre pendant mille ans, et que ce serait le règne terrestre de Jésus-Christ, temps de prospérité temporelle et de volupté (B). Là-dessus, quelques-uns crurent qu’il était le vrai auteur de l’Apocalypse (C), et qu’il la supposa à saint Jean. Chacun sait ce que l’on dit de cet apôtre par rapport à l’aversion pour Cérinthus ; chacun, dis-je, sait que l’on raconte qu’il ne voulut point entrer dans le même bain où était l’hérésiarque. Les anciens ont varié sur ce fait-là, et les modernes y ont ajouté des circonstances qui pourraient passer pour une fraude pieuse (D). Quelques-uns ont appliqué à Cérinthus ce qu’a dit Théodoret touchant certains défenseurs de la loi de Moïse qui voulaient que l’on adorât les anges, et qui se fondaient sur cette raison, c’est que, Dieu ne pouvant être ni vu, ni touché, ni compris, il fallait se procurer la bienveillance divine par le ministère des anges [f]. On prétend aussi que saint Paul avait en vue cet hérétique, lorsqu’il avertissait les fidèles de rejeter ceux qui par humilité d’esprit, et par le service des anges, s’ingéraient aux choses qu’ils n’avaient point vues ; et l’on assure que Cérinthus, ayant eu des liaisons dans

  1. Epiphan., advers. Hæres., pag. 120.
  2. En l’année 51.
  3. C’est-à-dire, en l’an 35.
  4. Voyez le chap. XI des Actes des Apôtres.
  5. Epiphan., adv. Haæres., pag. III.
  6. Voyez le père Garnier, in Auctario Operum Theodoreti, apud Ittigium de Hæresiare, sæculi I et II, pag. m. 52.