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CARDAN.

(A) Il naquit le 24 de septembre 1501.] Je n’ai pas voulu me fier à ce que j’ai lu au IIe. chapitre de sa Vie, ortus sum an. M. D. VIII. Calend. Octobris. Je ne critique point le mauvais arrangement de ces paroles, quoiqu’il mette les lecteurs dans l’incertitude si Cardan est né le 1er. d’octobre 1508, ou le 24 de septembre 1500. Je m’arrête à d’autres choses. Cardan raconte qu’il eut une maladie dont il pensa mourir en commençant sa huitième année [1], et qu’il était convalescent lorsque les Français firent des réjouissances pour la victoire qu’ils remportèrent sur les Vénitiens auprès de l’Adda [2]. Il est sûr que cette victoire fut remportée le 14 de mai 1509, et il y a beaucoup d’apparence que Cardan était tombé malade vers la fin du mois de septembre 1508 : or il commençait alors sa huitième année, il était donc né vers la fin du mois de septembre 1501. Si quelqu’un ne se contente pas de cette preuve, sous prétexte que la maladie de Cardan pourrait avoir commencé au mois de septembre 1507, qu’il voie de quelle manière Cardan fait tomber ailleurs [3] sa trente-cinquième année sur l’an 1536. M. Baillet a eu raison d’observer que les auteurs sont tout pleins de variations et de brouilleries, sur le temps précis de la mort et de la naissance de Cardan [4]. Voyez la remarque (F).

  1. Cardan, de Vitâ propriâ, cap. IV, pag. 14. edition. Paris, 1643.
  2. Convalui dum Galli, devictis in Abduæ confiniis Venetis, celebrabant triumphum. Cardanus, ibidem.
  3. Ibidem, pag. 19, 20.
  4. Baillet, tom. I, des Anti., pag. 46 et suiv.

(B) Sa mère n’était point mariée.] Elle s’appelait Claire Micheria [1]. Je n’ai point trouvé que son fils avoue formellement qu’elle n’était point mariée ; il dit bien qu’elle tâcha de perdre son fruit, et que son père ne demeurait pas avec elle ; mais ce sont deux choses qui n’excluent point le mariage. Il y a des femmes mariées, qui prennent des drogues pour avorter : les livres des casuistes ne le témoignent que trop, et les confesseurs en sauraient que dire. D’ailleurs, il arrive assez souvent que des personnes mariées se séparent de corps et de biens. Quelle est donc la raison qui me porte à affirmer que Cardan était bâtard ? La voici. Les deux faits que j’ai rapportés, et dont j’ai dit qu’ils n’excluent pas le mariage, sont néanmoins pour l’ordinaire un signe de naissance illégitime. S’ils ne l’eussent pas été envers Cardan, il l’eût déclaré en termes exprès ; car il n’eût pas ignoré la conséquence qu’on devait tirer naturellement de son aveu. Puis donc qu’il ne parle pas du mariage de sa mère, après avoir rapporté les deux choses sur quoi j’insiste, il n’y a point lieu de douter qu’il ne soit né d’un commerce défendu. Après l’âge de sept ans, il fut élevé chez son père, et alors sa mère et une sœur de sa mère logeaient chez son père. Ce n’est pas une preuve de mariage ; car cela peut convenir à une simple concubine. J’ai lu dans un écrivain moderne [2] que Cardan a reconnu [* 1], que le collége des médecins de Milan ne le voulait pas admettre, sur le soupçon où il vivait de n’être pas légitime. Le mot de soupçon est remarquable : il prouve manifestement que le public ignorait s’il y avait eu un mariage effectif entre le père et la mère de notre Cardan. Quoi qu’il en soit, l’écrivain moderne que j’ai cité se sert d’un terme très-impropre, quand il dit que Cardan se déclare nettement fils de putain, commençant le livre de sa propre vie par l’action de sa mère, qui fit ce qu’elle put pour avorter de lui [3]. Le mot de putain est ici tout-à-fait impropre, non-seulement parce que Cardan n’avoue pas que sa mère fût concubine, mais aussi parce qu’encore qu’il l’eût avoué en termes clairs et précis, il n’en faudrait pas conclure qu’il eût traité sa mère si vilainement. Une concubine et une putain sont pour l’ordinaire deux personnes bien distinctes. Est enim meretrix quæ (ut loquitur Imp. in l. 22, C. ad L. Jul. de adult.) pudorem suum vulgi libidinibus prosternit, quæ passim venalem formant habet, et quæstum indè facit [4].

  1. * De Consolatione, lib. III, cap. II.
  1. Cardanus, de Vitâ propriâ. pag. 6.
  2. La Mothe-le-Vayer, tom. X, lettre XLIII, pag. 345.
  3. La Mothe-le-Vayer, tom. XI, lettre LXIII, pag. 38.
  4. Marquardus Freherus, de Famâ, lib. II, cap. XI, pag. m. 211.