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BUDÉ.

deux seulement, et ne veux estre proclamé à l’église ne il la ville, ne alors que je serai inhumé, ne le lendemain. Car je n’approuverai jamais la coustume des cérémonies lugubres et pompes funèbres...... Je défens qu’on m’en fasse, tant pour ce, que pour autres choses qui ne se peuvent faire sans scandale : et si je ne veux qu’il y ait cérémonie funèbre, ne autre représentation à l’entour du lieu où je seray enterré, le long de l’année de mon trépas, parce qu’il me semble imitation des cénotaphes, dont les gentils anciennement ont usé[1]. Un jésuite, qui était d’ailleurs mal endurant, et fort aisé à effaroucher sur les moindres innovations, a condamné ceux qui ne donnèrent pas un bon sens à cette conduite. Il veut que ce savant homme n’en ait usé de la sorte, que par un principe d’humilité, et par une suite de cette humeur studieuse, qui l’avait tant fait vivre dans la retraite. Ce bon esprit, dit-il[2], ayant vescu parmi les morts, pour vivre a tout jamais entre les vivans, et s’estant entièrement sevré des compagnies pour s’adonner à la solitude durant sa vie, retint encores cette humeur en sa mort ; car il ordonna par son testament, que son corps fust porté de nuict, sans flambeaux, et sans pompe funèbre, depuis la rue Saincte-Avoye, où il demeurait lors de sa mort, jusques aux Célestins[3], qui est une assez longue traitte : et voulut estre enterré sans cérémonie, sans advertissement et son de cloches. Il est vrai que cette nouveauté donna sujet de discourir diversement, et que les prédicateurs de ce temps-là prindrent l’affaire au criminel, a l’occasion du temps, qui commençait à ressentir le fagot, et s’estoit desjà abbreuvé de certaines opinions soupçonneuses ; car ce fut l’an m. d. xxxix[4], lorsque Luther avoit embrasé quasi toutes les Allemagnes : mais la vie précédente de Budé, l’intégrité et l’innocence de ses mœurs, l’opinion publique, et les actions héroïques qui’il avoit faites, tant à Venise qu’à Paris, pour l’honneur de la religion, et l’avancement des lettres, furent fidelles tesmoings du contraire : de façon que les plus sages demeurèrent édifiés de son humilité, au lieu que les autres se formalisoient de la nouveauté : et du faict, il est vray que Budé pouvoit faire ce qu’il fit par pur sentiment d’humilité, comme nous voyons plusieurs saincts, qui ont désiré que leur corps fust exposé à la voyrie, ou enseveli sans honneur. Peu après, il continue de cette manière : Melin de Saint-Gelais, sçachant que l’intention de Budé avoit esté bonne et saincte, conforme à ses humeurs, qui estoient retirées, et ennemies du tracas des compagnies, fit un excellent épigramme en l’honneur du défunct, par lequel il faisoit voir, que Budé, en s’humiliant, avait acquis plus de gloire par cette action, que les autres par leurs pompeuses obsèques ; car il disoit,

Qui est celui que tout le monde suit ?
Las ! c’est Budé au cercueil estendu.
Pourquoi n’ont fait les cloches plus grand bruit ?
Son nom sans cloche est assez espandu.
Que n’a-t-on plus en torches despendu,
Suivant la mode accoustumée et saincte ?
Afin qu’il fust par l’obscur entendu,
Que des Français la lumière est esteinte.

Le prieur Ogier ne fut pas aussi indulgent que Garasse ; il le blâma d’avoir défendu la conduite de Budé : il l’eût blâmé peut-être de l’avoir critiquée, si Garasse eût fait ce que fit l’un de ses confrères en parlant du chancelier de l’Hôpital[5] ; car voilà ce que font pour l’ordinaire ceux qui critiquent un livre : ils prennent partout le contrepied. Voyons les paroles du censeur de la Doctrine curieuse : « Page 919, il veut justifier Guillaume Budé des accusations des docteurs et prédicateurs de son temps, qui avaient conçu quelque soupçon de lui depuis sa mort, à cause de la nouveauté de son enterrement. Ils avaient certes quelque sujet de faire un sinistre jugement de lui. Car outre la mauvaise impression que donna la nouveauté de son convoi, en un temps où il fallait se bander contre l’hérésie naissante, et ne rien relâcher des cérémonies ordinaires de l’église, il était

  1. Voyez M. de Launoi, Histoire du collége de Navarre, pag. 881.
  2. Garasse, Doctrine curieuse, pag. 920.
  3. C’est à l’église de Saint-Nicolas-des-Champs qu’il fut enterré, selon Louis le Roy.
  4. Il se trompe ; ce fut en 1540.
  5. Maimbourg, Histoire du Calvinisme, pag. 205, sur quoi voyez la Critique générale, lettre XVI, pag. 274 de la troisième édition.