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BUDÉ.

gioris tædio[1]. Il disait qu’il avait quitté la cour, et qu’il s’était retiré à Sterlin, où il ne travaillait qu’à une chose, qui était de quitter avec le plus petit bruit qu’il serait possible la compagnie de ceux qui ne lui ressemblaient point. Il voulait parler des vivans, et il se considérait comme mort. Intereà hoc unum satago, ut quàm minima cum strepitu ex inæqualium meorum, hoc est mortuus è vivorum contubernio demigrem[2]. Ses plus grands ennemis ne sauraient nier qu’il n’ait été philosophe pour le moins une fois en sa vie ; car ces sentimens-là ne seraient désavoués, ni par les stoïciens, ni par les brachmanes, si ce n’est peut-être à l’égard de quelques petits accessoires.

  1. Thuan., de Vitâ suâ, lib. II, pag. 1180, ad ann. 1583.
  2. Idem, ibid.

BUDÉ (Guillaume), en latin Budæus, né à Paris l’an 1467, et issu d’une famille[* 1] ancienne et illustre (A), a été le plus savant homme qui fût de son temps en France. On peut dire qu’il se mit à étudier un peu tard[* 2], car encore qu’on l’eût envoyé de bonne heure dans les écoles pour l’étude du latin, et puis à l’université d’Orléans pour l’étude de la jurisprudence, il ne savait presque rien à son retour d’Orléans, où il avait passé trois années. La barbarie, qui régnait alors dans les colléges, avait été cause qu’il était allé à Orléans sans entendre les auteurs latins, et cette ignorance l’empêcha de profiter dans le droit civil (B). Étant retourné chez son père, il perdit beaucoup plus son temps : il s’amusa à la chasse et aux plaisirs de la jeunesse ; mais il en revint au bout de quelques années, et se trouva saisi d’une telle inclination pour les sciences, qu’on ne saurait exprimer l’ardeur avec laquelle il s’appliqua à l’étude. Il renonça à toute sorte de divertissemens, et il regrettait même les heures qu’il fallait nécessairement donner aux repas et au dormir. Le jour même de ses noces, il se déroba pour le moins trois heures, afin de les passer avec ses livres. On eut beau lui représenter qu’il ruinerait sa santé (C), et qu’il se priverait des moyens de faire fortune : rien ne fut capable de ralentir son ardeur. La profonde érudition qu’il acquit par un si grand attachement à l’étude serait un peu moins étonnante, s’il avait eu de bons maîtres, qui lui eussent au moins servi de guides ; ou s’il avait eu des concurrens, dont les lumières lui eussent donné, avec une grande émulation, un parallèle instructif ; mais il ne trouvait personne dont il pût devenir disciple (D), ni qui courût avec lui dans cette carrière. On peut donc dire qu’il n’étudia que sous lui-même (E). Une des choses qu’il cultiva avec le plus d’assiduité fut la langue grecque : et il débuta même par-là, lorsqu’il voulut donner des marques publiques de ses progrès : car les premiers ouvrages qu’il ait donnés au public sont la Traduction de quelques Traités de Plutarque. Il publia ensuite ses Notes sur les Pandectes (F), et puis son traité de Asse, etc.

  1. * Il descendait, dit Leduchat, d’un Dreux Budé, audiencier de la chancellerie, et dont plusieurs descendans ont été secrétaires du roi.
  2. * Launoy, cité par Leclerc, dit qu’il avait dix-sept ans quand il entra au collége de Navarre en 1482. D’après une lettre de Budé lui-même, Leclerc est porté à croire que ce ne serait qu’en 1490, c’est-à-dire à vingt-trois ans.