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BONFADIUS.

avec les choses divines, l’on dirait que le législateur des historiens a imité le législateur des Juifs : il s’est réglé sur l’état de l’homme innocent, et non pas sur l’état de l’homme pécheur : il a supposé ce franc-arbitre perdu, et ces grandes forces que l’homme aurait eues, s’il eût persévéré dans son innocence originelle. Remarquons d’ailleurs une grande différence entre des lois si semblables. Il n’y a qu’une parfaite sagesse qui puisse accomplir le Décalogue ; et il faudrait être d’une folie achevée, pour accomplir les lois de l’histoire. La vie éternelle est le fruit de l’obéissance au Décalogue ; mais la mort temporelle est la suite presque inévitable de l’obéissance au législateur des historiens.

(E) Il s’engagea à leur apprendre comment il se trouverait dans l’autre monde..... Il n’est pas le seul qui ait fait de telles promesses. ] Voici ses paroles : Se da quel mondo di là si potrà dar qualche segno senza spavento, lo farò. Elles sont tirées du billet qu’il écrivit à Giovan-Battista Grimaldi : vous le trouverez tout entier dans l’Anti-Baillet[1] : M. Ménage l’a pris d’un Recueil de Lettres Italiennes, intitulé, Lettere di diversi Uomini illustri raccolte da diversi libri, imprimé in-8, in Treviso, appresso Fabricio Zanetti, en 1603. Le Barnabite Baranzanus avait fait la même promesse, et ne l’exécuta point. J’en parle dans son article. On prétend que Marsile Ficin, s’étant engagé à la même chose, tint sa parole : lisez ce passage de Pierre de Saint-Romuald. « Marcille Ficin, prêtre de Florence, grand philosophe platonicien, et grand théologien, mourut, et aussitôt son esprit, sous la forme d’un cavalier vêtu de blanc, monté sur un cheval de même couleur, courut à toute bride vers la porte du logis de Michel Mercat son intime, aussi grand philosophe platonicien, qui étudiait lors sur l’aube du jour en son cabinet en une ville assez éloignée de Florence, et lui cria que les discours qu’ils avaient tenus ensemble touchant l’autre vie étaient véritables ; et, cela dit, il retourna courant d’où il était venu, et se déroba promptement aux yeux de son ami, qui lui criait qu’il l’attendît. C’est ce qui lui advint, à cause du pacte qu’ils avaient fait ensemble sous le bon plaisir de Dieu, que le premier mourant viendrait dire au survivant si les choses se passaient en l’autre vie comme Platon l’avait écrit en son livre de l’immortalité de l’âme. Le cardinal Baronius assure avoir ouï raconter cette histoire au petit-fils de Mercat[2]. » Notez que Baronius, rapportant cela dans le Ve. volume des Annales de l’Église[3], observe que Michel Mercat, qui avait toujours vécu exemplairement, et comme un bon philosophe, poussa plus loin sa vertu depuis cette apparition ; car il renonça à l’étude de la philosophie, et s’appliqua tout entier à l’affaire du salut. L’annaliste ajoute que ce qui concerne la promesse réciproque que Marcile Ficin et Michel Mercat se firent, de s’avertir de l’état des choses après cette vie, etc., était attesté par plusieurs savans, et avait été souvent raconté au peuple par les prédicateurs. Haud inexplorata referam, sed quæ complurium eruditorum virorum scimus assertione firmata, immò et à religiosis viris ad populum pro concione sæpè narrata[4]. C’est dommage que Michel Mercat n’en ait point laissé une attestation juridique sous serment, et enregistrée dans les archives de Florence. Il eut grand tort de ne le pas faire. Son petit-fils Michel Mercat, qui fit ce conte à Baronius, était protonotaire de l’église, et recommandable par sa probité et par son savoir [5].

L’endroit où Sénèque raconte la tranquillité d’esprit avec laquelle Canius Julius alla au dernier supplice, est admirable. Cet honnête homme fut condamné à la mort par Caligula, et ne fut exécuté que dix jours après sa condamnation. Il les passa sans nulle inquiétude ; et, lorsqu’il fut averti qu’il fallait aller au lieu de l’exécution, il ne perdit rien de sa gaieté. Pourquoi vous affligez-vous ? disait-il à ses amis. Vous cherchez si l’âme

  1. Ménage, Anti-Baillet, chap. LXXXIX.
  2. Pierre de Saint-Romuald, Abrégé chronologique et historique, tom. III, pag. 251, 252, ad ann. 1499.
  3. Baronius, ad ann. 411, num. 69.
  4. Idem, ibidem.
  5. Idem, ibidem.