Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T03.djvu/117

Cette page n’a pas encore été corrigée
111
BARCLAI.

l’économie de l’ouvrage, et il fait le procès à l’Euphormion fort durement [1]. C’est une histoire d’un homme de basse qualité, dit-il [2], mais elle est extrêmement niaise...... « Ce qui a donné cours à ce livre a été qu’il est en latin, et que l’on n’avait pas accoutumé de voir des romans modernes en cette langue ; mais l’on n’a pas considéré aussi qu’il vient bien pour l’auteur, de n’avoir pas écrit en langue vulgaire, pour ce que l’on ne remarque pas qu’il n’entend rien à faire parler chaque personnage selon son esprit, ce qui est la grâce d’une satire. Il a au lieu force discours pédantesques, et fera parler un valet avec les termes d’un maître d’école qui sait l’histoire grecque et latine : tellement que tout cela étant considéré avec la bassesse des aventures, l’on voit que la Satire d’Euphormion est l’ouvrage d’un écolier qui commence à se déniaiser [3]. » Quand il fut devenu vieux, il adoucit un peu sa critique, mais il conserva du dégoût pour l’Euphormion [4]. Cette Satire, a été, dit-il [5], composée en latin par Jean Barclai, et traduite en français par Jean Berault, docteur en médecine de la faculté de de Paris. On y trouve beaucoup d’érudition, avec des censures de quelques vices du siècle, mais l’invention n’en est pas des plus ingénieuses et des plus agréables qui se puissent trouver. Nous avons déjà vu ce que Scaliger pensait de l’ouvrage même d’Euphormion. Voici le jugement qu’il faisait du style : Il y a bien des fautes que tout le monde ne connaîtra pas ; comme aux vers de M. de Bèze, il y a beaucoup de gallicismes [6]. N’oublions pas que ce livre eut le même sort que le Traité de la Puissance du Pape : il fut condamné par l’inquisition. Le décret ordonne qu’on en retranchera certaines choses : mais Nicius Érythréus m’apprend qu’il fut fait défense aux libraires de le vendre, et à tous les particuliers, de le garder et de le lire ; et qu’avant cela, il en avait lu quelque chose. Partem Euphormionis degustavitèm, cùm nondum laia lex erat, ne bibliopolæ cuipiam liceret eum vendere, aut cuiquam domi habere aut legere [7]. Qu’on remarque bien ces paroles, et qu’on les compare avec quelques autres qui sont à la page 77. on sera surpris que la cour de Rome ait tant méprisé la congrégation de l’Index : on verra que Jean Barclai fut reçu à Rome avec cent caresses, et qu’il reçut du pape de grands bienfaits, à cause de la réputation qu’il s’était acquise par l’Euphormion. Romam venit, ubi cùm pro eo quod ex Euphormione, quem ediderat, celebratum ejus nomen esset, est ab omnibus humaniter exceptus, et à Paulo V, qui tum romanam ecclesiam pontifex administrabat, bonis omnibus, quubus spontè se exuerat, amissis, in victu, vestitu, ac ceteris omnibus ad vitam necessariis, magnificè ac liberaliter habitus [8]. M. Ménage a critiqué une chose dans l’épître dédicatoire de l’Argenis [9]. Barclai, s’adressant au roi Louis XIII, lui dit que le prince dont il était né, méritait que pendant sa vie on lui donnât le surnom de Grand qui ne lui fut conféré qu’après sa mort. Eo es parente genitus, qui vel confessione hostium, sæculi sui summus Magni cognomen ferre vivus debuerat, quod vos modestiùs extincto addidistis [10]. C’est un mensonge : le père même de Jean Barclai, en dédiant son livre de Regno à Henri IV, l’an 1609, le traite de Henricus Magnus. M. Ménage confesse qu’il doit cette observation à M. Nuble [* 1].

(M) On veut qu’il ait été chagrin de se voir si peu avancé. ] L’auteur de la version italienne de l’Argenis avoue que les bienfaits de Paul V et de Grégoire XV ne furent nullement proportionnés au mérite de Jean Bar-

  1. * À l’appui de l’opinion de Bayle, Leclerc rapporte que, lors de l’entrée de Henri IV à Lyon, en 1595, l’arc de triomphe dressé par les comtes, à l’entrée de leur cloître, portait : Henrico magno, Galliarum et Navarræ regi. Henri IV eut donc le titre de Grand dès le seizième siècle.
  1. Sorel, liv. XIII du Berger extravagant, et aux remarques sur le XIIIe. livre et ailleurs.
  2. Remarques sur le Berger extravagant, pag. 763.
  3. Là même, pag. 765.
  4. Bibliothéq. franç., pag. 182.
  5. Bibliothéq. franç., pag. 193. Voyez la fin du texte de cet article.
  6. Scaligerana, pag. 23.
  7. Nicius Erythræus, Pinac. II, pag. 74.
  8. Idem, ibid., pag. 77.
  9. Ménage, remarques sur la Vie d’Ayrault, pag. 232.
  10. Barclai, Epist. ded. Argenid.