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ANDREINI.

son la philosophie cartésienne, encore que sa profession ne l’appelât point à cela, et lors même que l’âge avait extrêmement affaibli ses forces. M. Desmarets m’apprend ces particularités à l’occasion d’un proposant suisse qui n’osait aller aux leçons philosophiques de Tobie André ; car il craignait qu’on ne le sût en son pays et que cela ne fût un obstacle à sa promotion au ministère : Nec defuit unus ex illis, cujus nomini parco, benè aliàs doctus, et in philosophiam cartesianam valdè propensus, qui dùm hìc esset, professus est non audere se frequentare collegia cartesiana Cl. Tobiæ Andreæ (qui clinicus licet, quod summoperè doleo, Deumque veneror ut illi suas vires restituat, ea solet habere in superpondium suæ professionis, nec enim ad philosophiam, sed ad linguam græcam et historias est vocatus) ne hoc in suâ patriâ resciretur, et suæ promotioni obesset[1].

    brevi explicationi mentis humanæ Dn. Henrici Regii reposita.

  1. Maresius, in Judicio de Theologiâ pacificâ Wittichii, imprimé l’an 1671.

ANDREINI (Isabelle), native de Padoue, a été sur la fin du XVIe. siecle, et au commencement du XVIIe., une des meilleures comédiennes d’Italie. Ce n’était point le seul endroit par où elle se faisait admirer : elle faisait des vers en perfection. On le sait, non-seulement par les éloges qu’une infinité de savans et de beaux esprits lui ont donnés (ce serait une preuve un peu équivoque), mais aussi, par les ouvrages qu’elle fit sortir de dessous la presse. Les Intenti [a] de Pavie crurent faire honneur à leur corps en l’y agrégeant. Pour leur témoigner sa reconnaissance, elle n’oubliait jamais dans ses titres celui d’Academica Intenta ; et sans doute elle songeait aussi à se faire honneur par cette sorte de qualité. Voici toutes ses qualités : Isabella Andreini, Comica Gelosa, Academica Intenta, detta l’Accesa. Elle avait une chose qui n’est pas des plus communes parmi les excellentes actrices : c’est qu’elle était belle ; de sorte qu’elle charmait sur le théâtre, et les yeux, et les oreilles, en même temps (A). Le cardinal Cinthio Aldobrandini, neveu de Clément VIII, la considéra beaucoup, comme il paraît par quantité de poésies qu’elle composa pour lui, et par l’épître dédicatoire de ses ouvrages. Elle vint en France, et y fut favorablement reçue par leurs majestés, et par les personnes les plus qualifiées de la cour [b]. Elle composa plusieurs sonnets à leur louange, qui se voient dans la seconde partie de ses poésies. Elle mourut d’une fausse couche, à Lyon, le 10 de juin 1604, dans la quarante-deuxième année de sa vie. Son mari, Francois Andreini, la fit enterrer dans la même ville, et l’honora d’une épitaphe (B), qui témoigne qu’elle avait beaucoup de piété et de chasteté. Il a fait savoir au public, depuis ce temps-là, qu’il la regrettait (C) et qu’il l’estimait beaucoup. La mort de cette comédienne mit en pleurs tout le Parnasse : ce ne furent que plaintes funèbres, en latin et en italien. On en imprima beaucoup à la tête de ses poésies, dans l’édition de Milan, en 1605 [* 1]. On n’y oublia pas l’inscription ingénieuse qui avait été faite à

  1. * Voyez ma note sur la fin de la remarque (C).
  1. C’est ainsi qu’on nomme les académiciens de Pavie.
  2. Voyez l’épître dédicatoire de la IIe. partie de ses poésies.