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AUTRICHE.

même en Espagne ; car on tient qu’il mourut empoisonné par des bottines parfumées.

(H) Il n’osa recommander à Philippe II ses deux filles naturelles. ] Don Juan, le plus beau prince de son siècle, était d’ailleurs fort galant et fort civil. Jugez si ce ne fut point un homme à bonnes fortunes. Il eut une fille à Madrid, et une autre à Naples. Celle de Madrid s’appelait Anne, et avait pour mère une fille de la première qualité, et d’une beauté achevée : Ex Mariâ Mendoziâ splendidissimi generis formæque elegantissimæ puellâ[1]. La même dame qui avait élevé don Juan[2], éleva secrètement cette bâtarde, jusqu’à l’âge de sept ans ; après quoi elle la mit dans un cloître. Philippe II l’en tira, et la fit mener à Burgos, où elle devint supérieure perpétuelle des bénédictines. L’autre fille de don Juan s’appelait Jeanne : elle avait pour mère une demoiselle de Sorrento, nommée Diane Phalanga ; et après avoir été élevée jusqu’à l’âge de sept ans chez Marguerite, duchesse de Parme, sœur de son père, elle fut mise chez les religieuses de sainte Claire à Naples, où ayant vécu vingt ans elle fut enfin mariée avec le prince de Butero. Ces deux filles de don Juan moururent presque le même jour, au mois de février 1630. Il les avait fait élever si secrètement, qu’il ne doutait pas que le roi n’ignorât tout le mystère ; et il n’en avait jamais fait confidence au prince de Parme son grand ami, qui ne sut la chose à l’égard de l’une de ces bâtardes, que par le moyen de la duchesse sa mère, peu avant la mort de don Juan. Eas regi incompertas crederet ; quippe occultè adeò cautèque educatas, ut Alexander ipse secretorum ejus planè omnium particeps filiarum alteram ignoraret : alteram non ab Austriaco sed à Margaritâ matre haud pridem nôsset[3]. L’auteur de la Vie de ce prince, imprimée à Amsterdam, en 1690, veut que don Jean ait fait confidence à son cher neveu le prince Alexandre Farnèze de ses amours avec la belle Mendoce, et de sa fille Anne, parce que vivant alors dans une même cour, en Espagne, ils se voyaient de trop près, et parce qu’ils étaient trop bons amis pour se dérober l’un à l’autre. Mais bien persuadé que la manifestation d’un crime est un crime, il lui avait fait mystère, dit-il, de ses amours avec Diane[4]. C’est démentir Strada sans raison ni preuve, et c’est alléguer une raison de silence qui prouve trop.

(I) Il y a eu au XVIIe. siècle un autre don Juan d’Autriche. ] Il était fils naturel du roi d’Espagne Philippe IV, et il naquit l’an 1629[5]. fut légitimé l’an 1642, et il n’y eut personne qui fit sur cela à Philippe IV les complimens de congratulation avec autant d’empressement que le nonce apostolique Jacques Panzirole [6]. L’amitié du roi pour cet enfant fut la plus tendre du monde. Il le déclara son généralissime, tant par mer que par terre, dans la guerre contre le Portugal l’an 1642 ; et quelques années après, il l’envoya en Italie contre les rebelles de Naples[7]. Cette dernière expédition, ayant été fort heureuse, porta le roi à donner au même don Juan la commission de réduire à leur devoir les Catalans révoltés. Il l’envoya ensuite commander dans le Pays-Bas. Cet emploi ne contribua pas beaucoup à la gloire de don Juan : celle qu’il avait acquise en faisant lever le siége de Valenciennes s’évanouit par la mauvaise fortune qui l’accompagna en d’autres endroits, et surtout par la perte de la bataille des Dunes, qui fut suivie bientôt de la perte de Dunkerque. Il ne fut pas moins malheureux dans la guerre de Portugal, après la paix des Pyrénées ; car l’armée qu’il commandait fut entièrement défaite, et il tomba en disgrâce, et reçut ordre du roi son père de se retirer à Consuégra[8]. Il n’eut aucune part au gouvernement après la mort de ce prince : toute l’autorité se trouva entre les mains de la reine mère et du jésuite Nidhard. On voulut l’éloigner, sous le spécieux prétexte de l’envoyer au Pays-Bas faire tête aux armées de France ; mais il décou-

  1. Strada, decad. I , lib. X, pag. 624.
  2. Catherine Ulloa, femme de don Louis Quixada.
  3. Strada, decad. I, lib. X, pag. 624.
  4. Vie de don Juan d’Autriche, pag. 146.
  5. Vita di don Giovanni d’Austria, pag. 4, édit. de Genève, en 1686.
  6. Là même, pag. 7.
  7. Là même, pag. 37.
  8. Là même, pag. 284.