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AUSONE.

modum ponite : cætera curiosis relinquite [1]. Il a raison de dire que ce qu’il nomme imminutio[2] sera décrit en termes fort sales. M. Moréri a été le plus indulgent de tous les hommes : Il y a quelques pièces, dit-il, qu’Ausone avait composées durant sa jeunesse, où il donne trop à la liberté de son siècle. Cette censure n’est point rigide, et suppose une fausseté, car assurément Ausone n’était point jeune lorsqu’il composa le Centon nuptial. Je ne parle point des vers qu’il fit sur une jolie esclave qui s’appelait Bissula, et qui lui avait été adjugée pour sa portion du butin, après une grande victoire remportée en Allemagne l’an 368, car nous ne savons point à quel degré de licence il les porta : ils sont perdus, et nous pouvons seulement conjecturer qu’ils étaient bien libres, puisqu’il demande des lecteurs qui aient fait la débauche.

........Admoneo, antè bibas.
Jejunis nil scribo : meum post pocula si quis
Legerit, hic sapiet[3] ..........


Cela ne convient nullement à ce qui nous reste de ce poëme ; on n’y voit rien d’impur, ni dans les mots ni dans les pensées : il faut donc dire que la plupart des pièces qui le composaient sont péries. Un commentateur a prouvé la même chose par une autre raison, sans songer à celle-là. Il remarque que cette poésie est trop courte présentement, pour avoir pu être précédée de ces préfaces qui s’y trouvent[4] ; et, par conséquent, elle était beaucoup plus longue quand l’auteur l’eut achevée, que nous ne l’avons aujourd’hui. Quoi qu’il en soit, Ausone, qui, en ce temps-là, n’était plus dans le feu de la jeunesse, décrivit, selon toutes les apparences, un peu bien librement, les gentillesses de son esclave : elle lui parut si agréable dès le premier jour, qu’il ne tarda guère à la mettre en liberté [5].

(F) Voici quelques erreurs de Scaliger. ] 1°. Il a cru qu’Ausone fut élevé à la charge de préfet du prétoire, pendant la vie de l’empereur Valentinien[6]. Cela n’est pas vrai : Ausone déclare qu’il ne devait cette charge qu’à l’empereur Gratien. Tot gradus nomine comitis propter tua incrementa congesti ex tuo merito, te ac patre principibus, quæstura communis, et tui tantùm præfectura beneficii[7]. 2°. Scaliger a cru sans raison qu’il y avait une faute dans le code Théodosien, à l’endroit où il est parlé d’Auxonius, préfet du prétoire[8]. Il veut qu’on lise Ausonius, et non pas Auxonius. Il n’aurait point demandé une telle correction, s’il avait pris garde que la personne dont il s’agit dans cet endroit-là du code Théodosien, mourut environ l’an 371, et qu’Ausone exerça le consulat l’an 379, et vécut encore plusieurs années depuis. 3°. Il veut que toutes les lois adressées à Antonius, préfet du prétoire, soient corrigées, et qu’on y lise Ausonius, et non pas Antonius. C’est à tort, car il est certain qu’Ausone fut honoré de la charge de préfet du prétoire d’Italie l’an 376, cinq mois après la mort de l’empereur Valentinien, et que son fils Hespérius lui fut donné pour collègue[9]. Nous savons aussi qu’Antonius obtint la préfecture du prétoire des Gaules environ le même temps. Les choses demeurèrent au même état l’année suivante : Ausone et son fils exercèrent la préfecture d’Italie, et Antonius celle des Gaules ; mais, l’an 378, Antonius eut la préfecture du prétoire en Italie, Ausone et son fils l’eurent dans les Gaules, et ne la quittèrent qu’en 380. Vous trouverez les preuves de tout ceci dans l’auteur que je vous indique[10]. 4°. Scaliger a cru qu’Ausone parlait de soi-même dans ces deux vers :

Aut Italùm populos, Aquilonigenasque Britannos
Præfecturarum titulo, tenuêre secundo[11].

  1. Auson., in Centone nupt., pag. 513, 514.
  2. C’est-à-dire, la défloration.
  3. Auson., in Bissulâ, pag. 340.
  4. Voyez l’Ausone de Tollius, pag. 342.
  5. Auson., in Bissulâ, pag. 341.
  6. Scalig. Ausonian. Lection., lib. I, cap. II, et lib. V, cap. XVII, apud Alb. Petrum Rubenium, in Vitâ Mallii Theodori, pag. 16.
  7. Auson., in Gratiar. Actione, pag. 702, 703.
  8. Cod. Theod. Lege II de Patrociniis Virorum. Vide Valesium in Amm. Marcellin., lib. XXIX, cap. I, pag. 549.
  9. Auson., in Gratiar. Actione, pag. 705,
  10. Albertus Petrus Rubenius, in Vitâ Mallii Theodori, pag. 17 et seq.
  11. Auson., in Mosellâ, vs. 407, pag. 419.