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AUSONE.

point douter que cette pièce de poésie de l’empereur Valentinien ne fût bien gaillarde ; la matière le demandait. Il était question de mariage, et l’on avait pris la chose sur le ton de plaisanterie : Nuptias quondam ejusmodi ludo descripserat (Valentinianus) aptis equidem versibus, et compositone festivâ[1]. On peut être très-assuré que les vers de cet empereur ne furent pas moins érotiques que ceux de l’empereur Gallien[2]. Il faut donc reconnaître qu’Ausone trouvait quelque excuse, en ce qu’il ne faisait son Centon nuptial qu’à l’imitation et qu’à la prière de son maître, l’un des plus graves et des plus chastes empereurs qui aient jamais été, et, outre cela, grand sectateur de la plus pure doctrine chrétienne[3] ; de façon que, s’il n’eût pas pratiqué le dogme de la tolérance[4], on jugerait qu’il ne lui manquait aucun des talens qui conviennent aux monarques les plus orthodoxes. Je ne remarque ceci que pour en conclure que ceux qui mettent Ausone entre les poëtes païens, sous prétexte qu’il a fait une pièce aussi lascive que le Cento nuptialis, n’examinent pas les choses assez mûrement. Il est blâmable, sans doute. Je ne prétends point l’excuser ; je dis seulement que cette action n’est point une preuve de paganisme, et qu’elle ne suffit pas à donner de justes soupçons qu’il ne fut pas un chrétien très-orthodoxe, et je prouve cela par les circonstances, c’est-à-dire, par le caractère de l’empereur qui lui commanda de composer un tel écrit, et qui l’approuva. Combien y a-t-il de poëtes chrétiens dont les ouvrages sont plus lascifs que ne l’est le Cento nuptialis ! il en faudrait dégrader plusieurs de la qualité de chrétien, si l’on se réglait à la maxime du Gyraldi. Christianus quidem Ausonius fuit... sed petulantior tamen et lascivior quàm ut inter christianos numerari dignus sit[5]. Sans recourir à l’Italie, ne trouve-t-on point parmi les œuvres d’un poëte de la Haye, un épithalame qui, en matière d’obscénités, ne cède point au Centon d’Ausone[6] ? J’adresse ceci principalement au sieur Rittershusius, qui a regardé comme un monstre ce qu’il a vu dans la conduite d’Ausone ; je veux dire qu’un poëte chrétien de nom et de mœurs ait écrit lascivement : Illud imprimis apud me monstri instar habet, hominem christianum, et ut apparet, non nomine tantùm, sed et pectore et moribus, adeò sæpè lasciva atque improba scribere potuisse, ut nisi nomen Ausoni esset adscriptum, Bilbilitanum poëtam te legere putes[7]. Il ne se paie point de l’excuse que l’auteur a faite sur la pureté de sa vie, lasciva est nobis pagina, vita proba est. Je rapporte fort au long cette excuse-là dans un autre article[8]. Notons qu’Ausone était si persuadé qu’on le blâmerait, qu’il tâche de se justifier au commencement, au milieu et à la fin de ce petit poëme. Nous avons vu ce qu’il a dit au commencement ; nous verrons ailleurs[9] ce qu’il a dit à la fin. Il ne nous reste que de remarquer ce qu’il a dit au milieu. Sachez donc qu’après avoir décrit bien honnêtement le festin nuptial, la marche de l’épouse, la marche de l’époux, les présens de noces, les vœux de la compagnie, et avoir représenté assez honnêtement les premiers discours des mariés, il s’arrête là, et qu’il avertit ses lecteurs que ce qui lui reste à dire n’étant point couvert d’un voile, c’est à eux à ne point passer plus outre : Hactenùs castis auribus audiendum mysterium nuptiale, ambitu loquendi, et circumitione velavi. Verùm quoniam et fescenninos amat celebritas nuptialis, verborumque petulantiam notus vetere instituto ludus admittit, cætera quoque cubiculi et lectuli operta prodentur, ab eodem auctore collecta : ut bis erubescamus, qui et Virgilium faciamus impudentem. Vos, si placet, hic jam legendi

  1. Auson., in Præfat. Cent. nuptial., pag. 500, 501.
  2. Voyez ci-dessus, pag. 436, colon. 2, au commencement.
  3. Voyez M. Fléchier dans la Vie de Théodose, pag. 52.
  4. Amm. Marcell., lib. XXX, cap. XIX, et ibi Valesius.
  5. Gyrald., Histor. poët., Dialog. X, pag. 514.
  6. Voyez le Basium XX, sive Epithalamium de Jean Secundus, pag. 103.
  7. Conradus Rittershusius, Epist. ad Solom. Pantherum.
  8. Voyez la remarque (D) de l’article Vayer.
  9. Voyez la même remarque.