Mentis inops, cœtus hominum, et vestigia vitans,
Avia perlustrâsse vagus loca Bellorophontes[1].
Mille et mille chrétiens auraient pu
faire un semblable jugement : c’est
donc une impertinente preuve de paganisme.
Arnisæus, et l’auteur français
qu’il cite, étaient sans doute
chrétiens, et cependant ils jugeaient
tout comme Ausone, de l’amour de
la solitude : ils ont assez clairement
donné à connaître qu’ils attribuaient
à une humeur mélancolique la retraite
des fondateurs des moines : Medici
inter signa morbi melancholi referunt,
si quis quærat solitudinem, aut
si quem tristis agat mœror, torvâve
severum fronte, vel à lætis sociorum
cœtibus arceat ; et Gallicus quidam
non inconcinnus scriptor, ejus ordinis
fuisse censet Franciscum, Dominicum,
aliosque eremitas, aut anachoretas,
qui contra naturæ præscriptum politicis
societatibus se subtraxerunt, in
eremos, instar Endymionum, sese
abdiderunt, et quo melancholica ingenia
maximè afficiebantur, novum
vitæ genus, affectatæ religionis pallio
vestitum, condiderunt[2]. Baronius
n’a pas oublié de remarquer qu’Ausone
fut élevé par deux religieuses
qui étaient ses tantes[3]. C’est une
preuve qu’il était d’une famille chrétienne.
Or, en ce temps-là le christianisme
étant sur le trône, et le paganisme
étant exposé aux disgrâces et à
la persécution, il n’arrivait guère
qu’un chrétien se fit païen. Puis donc
qu’Ausone fut élevé dès l’enfance au
christianisme, l’on doit être persuadé
qu’il le professa tout le reste de ses
jours ; car rien n’est plus absurde que
la pensée de Giselin. Il a débité que
Claudien et Ausone, entraînés par
l’autorité et par l’éloquence de Symmaque,
abjurèrent la foi chrétienne,
et se replongèrent dans l’idolâtrie[4].
Il prétend prouver cela par le témoignage
de saint Augustin, et par l’étroite
amitié que Symmaque leur témoignait
en leur écrivant. Le jésuite
qui réfute cela montre que saint Augustin,
sans parler d’Ausone, a dit
seulement que Claudien avait été attaché
au paganisme[5] : ce n’est
point prétendre qu’il eût été autrefois
chrétien. Et, pour ce qui est d’Ausone,
on le justifie, tant par le silence
de l’empereur Gratien et de saint
Paulin, que par leurs honnêtetés. On
aurait pu ajouter que la raison empruntée
de l’amitié de Symmaque est la
plus faible du monde : ce n’était point
la conformité de religion qui les unissait,
mais l’amour qu’ils avaient tous
deux pour les belles-lettres.
On ne saurait disconvenir que M. Baillet n’embrasse le sentiment de ceux qui prétendent qu’Ausone a été païen ; on n’en saurait, dis-je, disconvenir, quand on pèse les paroles qu’il emploie : « Ce sont des défauts qu’il aurait dû récompenser par quelques bonnes qualités prises d’ailleurs, et qu’il devait réparer par des maximes et des sentimens tirés de la morale, comme les meilleurs poëtes de l’antiquité avaient eu soin de faire avant lui. Mais, comme il vivait parmi les chrétiens, il avait peut-être peur qu’on ne le confondit avec eux, si on lui eût trouvé des sentimens trop conformes aux leurs, touchant les mœurs[6]. » Il est certain que l’on trouve, dans les ouvrages d’Ausone, les plus belles maximes de la morale, et nommément les Apophthegmes des anciens sages de la Grèce. Que peut-on voir de plus moral que sa description du vir bonus[7] ?
(E) Il a composé quelques vers lascifs. ] Scaliger le père trouvait si sales quelques épigrammes d’Ausone, qu’il jugea qu’il n’y avait que le feu qui fût capable de les nettoyer. Nonnulla (epigrammata) adeò fœda atque detestanda, ut neque scriptore neque auditore digna, non in spongiam incumbere merita sint, sed solis flammis expiari posse videantur[8]. Je m’étonne qu’on ne dise rien contre les obscénités du Cento nuptialis, qui ont
- ↑ Auson., Epist. XXV, pag. 697, 698.
- ↑ Arnisæus, Relectionum politicar. pag. 9.
- ↑ Baron., ad ann. 394, num. 85. Voyez la remarque (F), num. VII.
- ↑ Victor Giselinus, in Scholiis ad secundum librum Prudentii contra Symmachum, apud Theophil. Raynaud. Hoploth., sect. II, serie I, cap. XIV, pag. 56.
- ↑ Theophil. Raynaudus, Hoploth., sect. II, serie I, cap. XIV, pag. 56.
- ↑ Baillet, Jugem. sur les Poëtes, tom. II, pag. 470.
- ↑ Pag. 529.
- ↑ Julius Cæsar. Scalig., Poët., lib. VI, cap. V, pag. 761.