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AURÉLIEN.

ôté la vie au roi Darius. On ne peut rien voir de plus beau que les ordres d’Aurélien touchant ce que les soldats devaient faire et ne pas faire. Saint Jean-Baptiste ne leur eût pas défendu plus de choses, s’il eût voulu descendre dans le détail [1]. Aurélien ne leur voulait pas permettre de toucher à aucun fruit, ni de se faire donner du sel, du bois, ou de l’huile ni de s’écarter des règles de la chasteté. Ne dirait-on pas qu’il avait dessein d’introduire dans les armées la discipline monacale ? Hujus epistola militaris est ad vicarium suum data hujus modi : Si vis tribunus esse, imò si vis vivere, manus militum contine. Nemo pullum alienum rapiat, ovem nemo contingat ; uvam nullus auferat ; segetem nemo deterat ; oleum, sal, lignum, nemo exigat : annonâ suâ contentus sit. De prædâ hostis, non de lacrymis provincialium, habeat ; arma tersa sint, ferramenta samiata... alter alteri quasi servus obsequatur : à medicis gratis curentur ; aruspicibus nihil dent ; in hospitiis castè agant ; qui litem fecerit, vapulet [2]. Il était si rigide, que l’empereur Valérien, qui avait pour lui une estime singulière, n’osa mettre son fils sous sa direction ; car il craignit que ce jeune prince, qui aimait à folâtrer, n’éprouvât trop fortement l’austérité d’un tel maître. C’est pourquoi il lui choisit un gouverneur moins exact. Voici ce qu’il répondit au consul Antonin Gallus, qui n’approuvait pas que cette charge n’eût pas été conférée à Aurélien : Culpas me familiaribus litteris quòd Posthumio filium meum Gallienum magis quàm Aureliano commiserim : quùm utique et severiori et puer credendus fuerit et exercitus : nec tu id diutiùs judicabis, si benè scieris quantæ sit Aurelianus severitatis. Nimius est, multus est, gravis est, et ad nostra jam non facit tempora. Testor autem omnes deos, me etiam timuisse ne quid etiam erga filium meum severiùs, si quid ille fecisset, ut est naturâ pronus ad ludicra, sæviùs cogitaret. Hæc epistola indicat quantæ fuerit severitatis, ut illum Valerianus etiam timuisse se dicat [3]. N’oublions pas la sévérité d’Aurélien à l’égard des domestiques. Il faisait fouetter en sa présence ceux qui s’étaient écartés de leur devoir, et il mit entre les mains de la justice plusieurs de ses propres valets, afin de les faire châtier de leurs fautes. Il fit mourir sa servante, qui avait commis adultère avec son valet. Servos et ministros peccantes coram se cædi jubebat, ut plerique dicunt, causâ tenendæ severitatis ; ut alii, studio crudelitatis. Ancillam suam quæ adulterium cum servo suo fecerat, capite punivit. Mulios servos è familiâ propriâ qui peccaverant, legibus audiendos judiciis publicis dedit [4]. Que Valérien dit avec raison qu’un tel homme était trop sévère pour le siècle où il vivait ! Ad nostra jam non facit tempora [5]. Il n’était propre que pour la secte des montanistes. Les chrétiens des siècles suivans l’auraient trouvé excessif, et combien trouverait-on aujourd’hui de casuistes qui diraient de sa morale ce qu’ils disent de celle des pères, qu’elle était trop forte, et que ce remède trop amer et trop corrosif ne convient pas à nos malades ! Où sont les gens de guerre, où sont même les bourgeois, qui s’avisent de châtier les galanteries de leurs valets et de leurs servantes ? On congédie ceux et celles dont les fautes de cette nature sautent aux yeux : voilà tout le châtiment. Quelquefois même on a la bonté de les marier ensemble. Notez que l’histoire ne fait mention que d’une servante d’Aurélien châtiée pour son impudicité. C’est un signe que de telles fautes furent très-rares dans son domestique : et c’est un sujet d’étonnement, quand on songe à ce qui se passe tous les jours, et qu’on sait qu’un général, qu’un empereur, avait nécessairement plusieurs esclaves de l’un et de l’autre sexe.

(C) Il demeura pauvre au milieu d’un très-grand nombre de charges qui lui furent conférées [6]. ] L’empereur son maître rendit témoignage à cette vertu, quand il chargea le public de la dépense que le consulat qu’il promettait à Aurélien exigerait.

  1. Voyez l’Évangile de saint Luc, chap. III, vs. 14.
  2. Vopisc., in Aureliano, cap. VII, pag. 434.
  3. Vopisc., in Aur., c. VIII, p. 439, 440.
  4. Idem, ibidem, cap. XLIX, pag. 585.
  5. Idem, ibidem, cap. VIII, pag. 439.
  6. Voyez-en le dénombrement dans Vopiscus, chap. X.