Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/570

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
560
AUGUSTIN.

re avec excès. Il n’a donc pu le prendre qu’au second ; et avouant que, bien qu’il s’efforçât de résister continuellement à la tentation du plaisir, qui se met comme en embuscade au passage des alimens nécessaires pour apaiser la faim et la soif, et pour entretenir la santé, néanmoins il s’y laissait quelquefois surprendre. Cette surprise arrive aux plus parfaits, à ceux qui refusent tout à leur corps, et qui ne le nourrissent que de jeunes et d’abstinence. M. Cousin continue ceci en indiquant plusieurs choses que Possidius a rapportées touchant la sobriété de saint Augustin. Je crois qu’il n’eût pas mal fait de donner de bonnes preuves des deux significations du mot crapula qu’il a jointes à celle que M. Petit a si bien prouvée.

C’est à mes lecteurs à prononcer sur cette dispute : je me contente de leur indiquer les raisons des deux parties. J’ajouterai seulement que j’ai consulté plusieurs dictionnaires, sans y trouver la moindre trace de la signification que M. Cousin veut que l’on donne au mot crapula dans cet endroit-ci. J’ai même trouvé qu’il y a des médecins qui soutiennent que l’ivresse et la crapule signifient la même chose, et que ceux qui y cherchent des différences s’amusent à des disputes de mots. Qui differentiam crapulam et ebrietatem fingunt λογομαχοῦσι. Foës, pag. 353. Dict. num. 475 [1]. Il est certain que dans Cicéron les termes de crapulam edormire, crapulam exhalare, veulent dire la même chose que les mots français cuver son vin [2]. Plaute emploie dans le même sens crapulam amovere [3], crapulam edormire [4], crapulam edormiscere [5]. On sait aussi que présentement notre mot crapule est plus odieux que celui d’ivresse, car il signifie le degré le plus excessif de l’ivrognerie. C’est, comme le remarque Furetière, une vilaine et continuelle débauche de vin ou d’autres liqueurs qui enivrent. Crapuler, ajoute-t-il, veut dire boire sans cesse, s’enivrer salement et continuellement. Le dictionnaire de l’académie française confirme ces définitions. Mais il n’y a point de conséquence à tirer d’un siècle à un autre, quant au sens des termes. L’usage le fait varier prodigieusement. La distinction entre l’ivresse et la crapule était certaine au temps d’Aristote et au temps de saint Augustin. Cela est encore plus clair par le passage de ce père de l’Église, que par celui de ce philosophe. La question est de savoir en quoi consistait cette différence au temps de saint Augustin. Si M. Petit avait répliqué à M. Cousin [6], il aurait débité sans doute beaucoup de littérature, et je pense qu’il n’aurait pas oublié ceci : c’est que les auteurs qui, comme Aristote, traitent dogmatiquement un sujet, descendent dans le détail des genres et des espèces, et observent la propriété des termes destinés à signifier les différences des espèces, ou les différens degrés d’une même qualité ; mais les poëtes et les orateurs quittent bientôt cette exactitude, ils introduisent un usage plus dégagé, ou bien ils s’accommodent à l’usage du public, qui fait prendre indifféremment les uns pour les autres, en mille rencontres, les termes que les docteurs avaient distingués.

(K) Je ne dirai pas beaucoup de choses sur les éditions des œuvres de saint Augustin. ] M. du Pin en a donné une liste [7] qui n’est ni aussi ample, ni aussi exacte que celle que les journalistes de Leipsick en ont donnée [8]. Or, comme il est très-aisé de consulter ces auteurs-là, il serait bien superflu de les copier ici. Je dirai donc seulement que la meilleure édition des ouvrages de ce père est celle qui a paru à Paris par les soins des bénédictins de Saint-Maur. Elle est divisée en dix volumes in-folio, comme quelques autres, mais elle a donné un nouvel arrangement ou une nouvelle économie dans chaque tome. Le Ier.

  1. Jacob. Pancratius Bruno, in Lexico medico, pag. 385.
  2. Voyez la IIe. Philippique de Cicéron, chap. XII, et la VIIIe. Verrine, liv. III, chap. XI.
  3. Plaut., in Pseudolo, act. V, scen. I, vs. 35.
  4. Idem, in Mostell., act. V, scen. II, vs. 1.
  5. Idem, in Rudente, act. II, scen. VII, vs. 28.
  6. Il n’a pu le faire ; il était mort avant que son Nepenthes eût vu le jour.
  7. Voyez sa Nouvelle Bibliothéque des auteurs ecclésiastiques, tom. III, pag. 257, édition de Hollande.
  8. Dans leur mois de janvier 1683, pag. 2.