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AUGUSTIN.

Car, au lieu que saint Augustin changea d’opinion, à cause que les lois des empereurs avaient fait cesser un schisme, les ministres réfugiés ont changé de sentiment lorsque la ruine de leurs églises par l’autorité du souverain était encore toute fraîche, et que la plaie était encore toute sanglante. Si on leur avait demandé, pendant que les édits de persécution ne cessaient de pleuvoir sur le parti, ce qu’ils pensaient de la conduite d’un souverain qui assujettit à diverses peines ceux de ses sujets qui ne demandent que la liberté de prier Dieu selon les lumières de leur conscience, ils auraient répondu qu’elle est injuste ; et dès qu’ils se sont vus en d’autres pays, ils ont prononcé anathème sur ceux qui condamnent l’usage des lois pénales contre les errans. Cela doit servir d’exemple de l’instabilité des choses humaines : il y a bien à moraliser là-dessus.

Celui qui fut le promoteur de ces décisions synodales avait déjà passé du blanc au noir ; mais c’était en quelque façon par un privilége spécial, et par une dispense prophétique qui ne tirait point à conséquence pour les autres. Sa Politique du clergé, son Préservatif, etc., avaient condamné hautement l’usage des lois pénales en matière de religion. Il avait traité amplement de cela dans sa Réponse à l’Histoire du Calvinisme, et pour le moins il avait donné à connaître qu’il souhaitait de réfuter solidement les apologistes des lois pénales. Il est vrai qu’il avait ruiné d’une main ce qu’il avait tâché de bâtir de l’autre, et qu’il tomba dans une pitoyable contradiction, qui l’a exposé à des mortifications terribles dans plusieurs écrits qu’on a publiés contre lui ; mais enfin, jusque-là, on ne pouvait pas le convaincre d’avoir dit nettement et précisément le oui et le non. Ce n’a été qu’en conséquence des révélations qu’il a cru recevoir d’en haut sur la prochaine ruine du papisme ; ce n’a été, dis-je, qu’en conséquence de cela qu’on s’est élevé contre ceux qui ne croyaient pas qu’il fût permis d’extirper les sectes par l’autorité du bras séculier. Il s’est imaginé que ces gens-là lui faisaient une querelle personnelle, et qu’ils conspiraient contre son Explication de l’Apocalypse [1]. Le clergé de France s’est fort servi des raisons de saint Augustin, pour justifier la conduite de la cour envers les réformés. On a fait imprimer à part en beau français tout ce que saint Augustin a publié sur cette matière. Un protestant en a donné la réfutation dans la IIIe. partie du Commentaire philosophique sur Contrains-les d’entrer. Voyez [2] les réflexions qui ont été faites sur le préjudice que fait à la bonne cause l’autorité de ce saint. On a été surpris que M. Poiret ait tâché de l’excuser. Voyez l’Histoire des ouvrages des savans, au mois de mai 1692, page 358, et au mois d’août de la même année, page 552.

(I) Un médecin... a prétendu que ce saint buvait beaucoup... mais sans s’enivrer. Vous rapporterons ses raisons et celles d’un journaliste qui le réfute. ] Le médecin dont je parle est M. Petit. Le chapitre où il traite de cela est intitulé : Videri B. Augustinum non invalidum potorem fuisse [3]. Il met d’abord le fondement de sa prétention dans ces paroles de saint Augustin : Ebrietas longè est à me : misereberis, ne appropinquet mihi. Crapula [* 1] autem nonnunquàm surrepit servo tuo ; misereberis, ut longè fiat à me [4]. C’est-à-dire, L’ivresse est loin de moi ; vous aurez pitié de moi, Seigneur, afin qu’elle ne s’en approche. La crapule surprend quelquefois votre serviteur ; vous aurez pitié de lui, afin qu’elle s’en éloigne. Il semble qu’il y ait là une espèce de contradiction ; car la crapule étant l’effet de l’ivresse, comment peut-on avouer, sans se contredire, qu’on ne boit jamais jusqu’à s’enivrer, et que cependant on succombe quelquefois à la crapule ?

  1. * À la fin du tome XII de l’Histoire des Auteurs sacrés, on trouve une lettre au T. R. P. D. Ceillier contenant l’explication d’un passage de saint Augustin. Crapula, y est-il dit, doit être pris pour l’excès dans le manger. Cette lettre à Ceillier était de Joly, qui, dans ses Additions à ses Remarques sur Bayle consacre une note de plus de trois pages pour défendre son opinion.
  1. Voyez l’Apologie pour les vrais Tolérans, par M. Huet, ministre de Dort, pag. 133 et 134.
  2. Dans la Défense des Sentimens de quelques Théologiens de Hollande sur l’Histoire critique, pag. 365 et suivantes.
  3. C’est le XVe. de son livre intitulé : Homeri Nepenthes, sive de Helenæ Medicamento, imprimé à Utrecht, l’an 1689, in-8o.
  4. Augustin., lib. X, Confess., cap. XXXI.