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AUGUSTIN.

celui auquel on se doit le plus arrêter : car, non-seulement, tous les docteurs qui sont venus depuis lui, mais les papes mêmes, et les conciles des autres évêques, ont tenu sa doctrine touchant la grâce, pour certaine et pour catholique, et ils ont tous cru que c’était une suffisante preuve de la vérité d’un sentiment, de savoir que ce saint l’avait enseigné [1]. »

(H) M. Claude... se serait exposé... à une rude censure, s’il eût vécu encore trois ou quatre ans. ] J’ai deux choses à montrer : l’une que M. Claude a trouvé mauvais que saint Augustin ait approuvé les lois pénales contre les hérétiques ; l’autre que, s’il avait vécu encore trois ou quatre ans, il eût été censuré d’avoir censuré saint Augustin.

I. Pour prouver la première de ces deux choses, je n’ai qu’à rapporter les termes dont M. Claude s’est servi dans une lettre qui a été rendue publique. Il avoue que saint Augustin avait l’esprit admirablement beau, l’imagination abondante et heureuse, marquant presque partout une grande piété, une grande justice et une grande charité ; mais il ajoute qu’il y a une chose qui flétrit extrêmement sa mémoire, savoir, qu’après avoir été dans des sentimens de douceur et de charité touchant la conduite qu’on doit tenir envers les hérétiques, les contestations qu’il eut avec les donatistes l’échauffèrent tellement, qu’il changea du blanc au noir, et soutint hautement qu’il fallait persécuter les hérétiques [2].

II. Les actes du synode des églises wallones des Provinces-Unies, tenu à Amsterdam au mois d’août 1690, établissent invinciblement la seconde chose que j’ai à prouver ; car c’est ici l’une des propositions que cette assemblée condamna, le magistrat n’est point en droit d’employer son autorité pour abattre l’idolâtrie et empêcher les progrès de l’hérésie. Cette proposition, dis-je, est l’une de celles que le synode déclare solennellement et unanimement fausses, scandaleuses, pernicieuses, destructives également de la morale et des dogmes de la religion. Le synode comme telles les proscrit, les interdit, et les condamne, défendant sous les dernières censures à toutes personnes ecclésiastiques et séculières de les débiter, ni dans les chaires, ni dans les conversations particulières,..... et ordonnant très-expressément à tous les consistoires de son ressort de redoubler leurs soins et leur vigilance pastorale à proportion du danger qui menace leurs troupeaux, de réprimer sans distinction et sans complaisance tous ceux qui se trouveront coupables, en suspendant les particuliers de la sainte cène ; et à l’égard des ministres, ils les suspendront de leur charge jusqu’au prochain synode, en appelant à ce jugement deux pasteurs des églises voisines [3]. Si M. Claude eût été en vie pendant la tenue de ce synode [4], on n’aurait pas peut-être condamné la proposition que j’ai rapportée, me dira quelqu’un. Je n’en sais rien ; mais, quoi qu’il en soit, on ne peut nier que son sentiment n’ait reçu le coup de foudre ; car il est visible que saint Augustin n’a établi autre chose, sinon que les magistrats doivent réprimer les hérétiques, en les soumettant à certaines peines. Or le synode d’Amsterdam établit cela avec tant de force, qu’il met la proposition contraire dans le nombre des erreurs pernicieuses pour lesquelles il veut qu’on excommunie les laïques, et que l’on suspende les ministres : il a donc décidé la même doctrine que M. Claude avait condamnée dans saint Augustin ; le sentiment de M. Claude a donc été fulminé par ce synode.

Si M. Claude a été surpris que saint Augustin soit passé du blanc au noir, d’autres s’étonnent encore plus que les ministres fugitifs de France [5] soient passés tout de même du blanc au noir.

  1. Petav. Dogmat. theolog., tom. I, lib. IX, cap. VI, cité par M. Arnauld, Difficult. propos. à M. Sieyaert, part. IX, pag. 200.
  2. Voyez la Lettre écrite de Suisse, imprimée à Dordrecht, en 1690, pag. 20.
  3. Voyez ce qui a été publié des Actes de ce synode, dans le Tableau du socinianisme, pag. 565.
  4. Il était mort au mois de janvier 1687.
  5. Ils étaient en beaucoup plus grand nombre dans le synode, que les ministres wallons, et ils ont agi de concert avec les ministres réfugiés en Angleterre. Voyez les Actes de ce synode, touchant la VIIIe. lettre du Tableau du Socinianisme, pag. 559 et suiv. L’auteur de ce Tableau assure, pag. 558, que l’arrêté et les définitions de ce synode ont été faits d’une manière unanime.