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AUGUSTIN.

des personnes âgées, et beaucoup de ceux que l’on considère dans le monde pour leur gravité et leur littérature. Saint Augustin composa vers le même temps un livre en forme de dialogue, intitulé : Du Maître. Adéodat et lui sont les deux personnages qui s’y entretiennent, et il prend Dieu à témoin que tout ce qu’il fait dire à son fils dans cet ouvrage est entièrement de lui, quoiqu’il n’eût alors que seize ans. Saint Augustin ajoute qu’il avait vu de cet enfant plusieurs choses encore plus admirables que ce que nous venons de rapporter. Enfin, tout esprit fort qu’il était, il déclare que la grandeur de l’esprit de son fils l’épouvantait. Adéodat reçut la grâce du baptême avec son père, et il mourut peu de temps après [1]. »

(D) Il ne trouvait personne qui répondît pleinement aux difficultés qu’il avait à proposer. ] Saint Augustin avait l’esprit pénétrant ; il était rhétoricien de profession ; il entendait la dialectique. Il est aisé à un subtil et éloquent disputeur de former des doutes et de trouver des répliques : il ne faut donc pas s’étonner qu’il embarrassât les docteurs manichéens. Il ne faut pas même s’étonner qu’il embarrassât plusieurs catholiques, et que les faibles réponses qu’ils faisaient à ses objections le confirmassent dans ses hérésies. Il avoue qu’à son dam il avait remporté sur eux mille victoires : tant il est vrai que chaque orthodoxe ne doit pas se mêler de la dispute, et qu’à moins que d’avoir affaire à un hérétique de sa volée, on ne peut, naturellement parlant, qu’endurcir son antagoniste. Quædam noxia victoria penè mihi semper in disputationibus proveniebat, disserenti cum christianis imperitis ; quo successu creberrimo gliscebat adolescentis animositas, et impetu suo in pervicaciæ magnum malum imprudenter vergebat [2].

(E) L’engagement où est l’église romaine de respecter le système de saint Augustin, la jette dans un embarras qui tient beaucoup du ridicule. ] Il est si manifeste à tout homme qui examine les choses sans préjugé et avec les lumières nécessaires, que la doctrine de saint Augustin et celle de Jansénius, évêque à Ypres, sont une seule et même doctrine, qu’on ne peut voir sans indignation que la cour de Rome se soit vantée d’avoir condamné Jansénius, et d’avoir néanmoins conservé à saint Augustin toute sa gloire. Ce sont deux choses tout-à-fait incompatibles. Bien plus, le concile de Trente, en condamnant la doctrine de Calvin sur le franc arbitre, a nécessairement condamné celle de saint Augustin ; car il n’y a point de calviniste qui ait nié, ou qui ait pu nier le concours de la volonté humaine et la liberté de notre âme au sens que saint Augustin a donné aux mots de concours et de coopération et de liberté. Il n’y a point de calviniste qui ne reconnaisse le franc arbitre, et son usage dans la conversion, si l’on entend ce mot selon les idées de saint Augustin. Ceux que le concile de Trente a condamnés ne rejettent le franc arbitre qu’en tant qu’il signifie la liberté d’indifférence. Les thomistes le rejettent aussi sous cette notion, et ne laissent pas de passer pour très-catholiques. Voici une autre scène de comédie. La prédétermination physique des thomistes, la nécessité de saint Augustin, celle des jansénistes, celle de Calvin, sont au fond la même chose, et néanmoins les thomistes renoncent les jansénistes, et les uns et les autres prétendent qu’on les calomnie, quand on les accuse d’enseigner la même doctrine que Calvin. S’il était permis à l’homme de juger des pensées de son prochain, on serait fort tenté de dire que les docteurs sont ici de grands comédiens, et qu’ils n’ignorent pas que le concile de Trente n’a condamné qu’une chimère, qui n’était jamais montée dans l’esprit des calvinistes, ou qu’il a condamné saint Augustin et la prédétermination physique : de sorte que, quand on se vante d’avoir la foi de saint Augustin et de n’avoir jamais varié dans la doctrine [3], on ne le fait que

  1. Baillet, des Enfans célèbres, pag. 63, ex August. Confess., lib. IX, cap. VI,
  2. August., de duabus Anim.
  3. M. Basnage montre clairement que l’église romaine, dans le concile de Trente et ailleurs, a décidé contre saint Augustin et contre d’autres conciles. Voyez son Histoire de la Religion des Églises réformées, tom. II, pag. 452 et suiv.