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AUGUSTIN.

l’entretenir à Carthage, amassait peu à peu l’argent qui lui était nécessaire pour l’y envoyer. La joie de ce bon père fut grande, lorsqu’étant au bain avec son fils, il s’aperçut des progrès prématurés de la nature [1]. Il ne put s’empêcher d’apprendre cette nouvelle à sa femme : il sentait déjà je ne sais quelle petite joie de grand-père, en voyant que son fils était sitôt prêt à se marier. Quinimò ubi me ille pater in balneis vidit pubescentem et inquietâ indutum adolescentiâ, quasi jam ex hoc in nepotes gestiret, gaudens matri indicavit [2]. La mère de saint Augustin eut plus d’inquiétude que de joie de cela ; elle craignit que les désordres n’en commençassent plus tôt, et c’est pourquoi elle lui fit de très-sérieuses remontrances de s’abstenir du sexe et surtout de l’adultère. Secretò memini ut monuerit cum solicitudine ingenti ne fornicarer, maximèque ne adulterarem cujusquam uxorem. Qui mihi monitus muliebres videbantur, quibus obtemperare erubescerem [3]. Mais il ne fit aucun cas de ces bonnes exhortations : il contracta une si forte habitude d’incontinence, que lors même qu’il eut renoncé au manichéisme, et qu’il se préparait au baptême, il prit une nouvelle concubine, à la place de la mère d’Adéodat, en attendant que la fille qu’on lui destinait pour femme eût atteint l’âge nubile [4]. Il fallait attendre près de deux ans [5]. Il est remarquable que dans la dispute de saint Augustin et d’Alypius sur le mariage et le célibat, Alypius, bien loin de persuader à saint Augustin le célibat, se laissa persuader le mariage. Alypius menait une vie chaste : il avait goûté en passant, et comme à la dérobée, le plaisir vénérien au commencement de sa jeunesse, mais il s’en était retiré de fort bonne heure. Il déconseillait le mariage à saint Augustin, comme obstacle au dessein qu’ils avaient formé de vivre ensemble dans l’étude de la sagesse. Prohibebat me sanè Alypius ab uxore ducendâ, causans nullo modo nos posse securo otio simul in amore sapientiæ vivere sicut jam diù desideraveramus, si id fecissem [6]. Saint Augustin lui avoua ingénument qu’il ne lui serait pas possible de se contenir, et lui allégua les exemples de quelques sages mariés, qui avaient été fidèles à Dieu et à leurs amis. Il ajouta qu’il y avait une grande différence entre ces plaisirs passagers qu’Alypius avait goûtés et puis oubliés, et ceux dont lui Augustin s’était fait une habitude, qui deviendraient même plus doux sous le beau nom de mariage. Alypius fut si touché de ce discours, qu’il résolut de se marier, afin, disait-il, « de connaître par expérience ce que saint Augustin trouvait plus charmant que la vie même. » Cùm me ille miraretur quem non parvi penderet, ità hærere visco illius voluptatis, ut me affirmarem quotiescunque indè inter nos quæræremus, cœlibem vitam nullo modo posse degere, atque ità me defenderem, cùm illum mirantem viderem, ut dicerem multùm interesse inter illud quod ipse raptim et furtim expertus esset, quod pœnè jam nec meminisset quidem, atque ideò nullâ molestiâ facilè contemneret, et delectationes consuetudinis meæ, ad quas si accessisset honestum nomen matrimonii, non eum mirari oportere cur ego illam vitam nequirem spernere. Cœperat et ipse desiderare conjugium nequaquàm victus libidine talis voluptatis, sed curiositatis. Dicebat enim scire se cupere, quidnam esset illud sine quo vita mea quæ illi sic placebat, non mihi vita, sed pœna videretur [7]. Ils ne se marièrent néanmoins ni l’un ni l’autre, et ils vécurent dans la continence.

(C) Il prit une concubine,...… et en eut un fils, qu’il appela... Dieudonné, et qui eut beaucoup d’esprit. ] Mon lecteur sera sans doute bien aise de trouver ici quelque chose sur ce bâtard : j’en dirai ce que je trouve dans M. Baillet. « Adéodat n’avait que quinze ans, lorsque son père fut baptisé ; mais il était alors si avancé, et son esprit avait déjà reçu tant de lumières, qu’il passait bien

  1. C’était contre la bienséance connue même des païens, qu’un fils et un père se baignassent au même lieu. Voyez les Offices de Cicéron, liv. I, chap. XXXV ; Valère Maxime, liv. II, chap. I, num. 7 ; Plutarque, dans la Vie de Caton l’ancien, pag. 348.
  2. Confess., lib. II, cap. III.
  3. Ibidem.
  4. Ibidem, lib. VI, cap. XV.
  5. Ibidem, cap. XIII.
  6. Ibidem, cap. XII.
  7. Ibidem.