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AUGUSTIN.

s’il n’eut esté empesché par trois personnes, comme il a confessé : et quinze jours après, avoit estranglé un jeune enfant de dix ans, au vignoble de Gredisans, et mangé la chair des cuisses, jambes, et ventre d’iceluy : et pour avoir depuis en forme d’homme, et non de loup, tué un autre garçon de l’aage de douze à treize ans, au bois du village de Pérouse, en intention de le manger, si on ne l’eust empesché, comme il confessa sans force ny contraincte ; il fut condamné d’estre bruslé tout vif, et l’arrest fut exécuté [1].

  1. Bodin, Démonomanie des sorciers, liv. II, chap. VI, pag. 208, 209, édition de Lyon, 1598, in-8o.

AUGUSTIN (Saint), l’un des plus illustres pères de l’Église, naquit à Tagaste dans l’Afrique le 13 de novembre 354. Son père, nommé Patrice, n’était qu’un petit bourgeois de Tagaste ; sa mère s’appelait Monique, et avait beaucoup de vertu. Leur fils n’avait nulle inclination pour l’étude (A). Il fallut néanmoins qu’il étudiât : son père le voulut avancer par cette voie, et l’envoya faire ses humanités à Madaure. Il l’en retira âgé de seize ans, pour l’envoyer faire sa rhétorique à Carthage. Saint Augustin y alla vers la fin de l’an 371 [a]. Il s’avança fort dans les sciences, mais il se plongea dans la débauche des femmes (B). Il voulut lire l’Écriture Sainte ; mais la simplicité du style l’en dégoûta : il était encore trop grand admirateur de l’éloquence païenne pour trouver son compte dans la Bible. Il avait en général une forte envie de connaître la vérité ; et ayant cru la trouver dans la secte des manichéens, il s’y engagea, et en soutint la plupart des dogmes avec beaucoup de chaleur. Ayant demeuré à Carthage quelque temps, il retourna à Tagaste, où il enseigna la rhétorique avec tant d’applaudissemens, que l’on félicitait sa mère d’avoir un fils si admirable. Cela n’empêchait pas cette sainte femme de s’affliger extrêmement à cause de l’hérésie de son fils, et de la débauche où il se plongeait. Il retourna à Carthage l’an 580, et y enseigna la rhétorique avec une réputation très-glorieuse. Ce fut alors qu’il fixa son incontinence, qui avait été vague et répandue sur plusieurs objets. Il prit une concubine, et s’en contenta, et en eut un fils qu’il appela Adeodatus, Dieu-donné, et qui eut beaucoup d’esprit (C). Il devint un peu flottant dans sa secte, parce qu’il ne trouvait personne qui répondit pleinement aux difficultés qu’il avait à proposer (D) : néanmoins il ne changea pas de profession ; il attendit de plus grands éclaircissemens. Monique, sa bonne mère, l’alla trouver à Carthage, pour tâcher de le tirer de l’hérésie et de la luxure, et ne désespéra de rien, quoiqu’elle vît que ses remontrances fussent inutiles. Il chercha un nouveau théâtre à son esprit, et se résolut d’aller à Rome ; et pour n’être pas détourné de ce dessein, il s’embarqua sans en rien dire à sa mère, ni à Romanien son parent, qui l’avait entretenu dans les écoles [b]. Il enseigna dans Rome la rhétorique avec le même succès qu’à Carthage : de sorte que Symmaque, préfet de la ville, ayant su qu’on demandait à Milan un ha-

  1. Du Pin, Biblioth. des Auteurs ecclésiast., tom. III, pag. 158.
  2. Son père était mort environ l’an 372.