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AVERROÈS.

ou plus badine, que celle des chrétiens, qui mangent et déchirent eux-mêmes le dieu qu’ils adorent[1]. » Avant que de passer outre, je fais deux remarques contre ce docte ministre. La Ire. est que le cardinal du Perron n’est point proprement celui qui rapporte cette parole sur la foi de l’un des confrères du père Adam, il ne la rapporte que comme citée par M. du Plessis ; car c’est M. du Plessis qui allègue sur ce sujet ce que le jésuite Scarga observe touchant la pensée de ce philosophe arabe[2]. La IIe. est qu’au lieu de Sarga, il fallait dire Scarga. Rapportons maintenant le passage d’un autre ministre : Si nous recevions la sainte Cène à genoux... nous serions en scandale et en achoppement aux infirmes, mais nous donnerions occasion aux infidèles de blasphèmer le sacré nom de Dieu, et d’avoir en horreur le christianisme. Car nous ne pouvons oublier le lamentable exemple de ce philosophe païen [* 1], qui, ayant vu manger le sacrement qu’on avait adoré, dit, qu’il n’avait jamais vu de secte plus folle et plus ridicule que celle des chrétiens, qui adorent ce qu’ils mangent ; et c’est à ce propos que ce malheureux s’écria : que mon âme soit avec celles des philosophes, veu que les chrétiens adorent ce qu’ils mangent[3]. Ce même ministre allègue ailleurs un passage de Cicéron, qui cadre beaucoup avec la pensée d’Averroës[4] : « Ecquem tam amentem esse putas, qui illud quo vescatur Deum credat esset[5] ? c’est-à-dire, et qui pensez-vous si insensé, que de croire que ce qu’il mange soit Dieu ? » Cicéron parla ainsi, en considérant qu’on donnait au blé le nom de Cérès, et au vin le nom de Bacchus. Cùm fruges Cererem, vinum Liberum dicimus, genere nos quidem sermonis utimur usitato[6]. Le père Lescalopier avoue que cet illustre païen est fort raisonnable, quand il raisonne de la sorte à l’égard de Cérès et de Bacchus ; « mais, ajoute-t-il [7], c’est une extrême sagesse sous le christianisme, que de manger ce que l’on croit être Dieu, et nous regardons comme coupables d’une infidélité très-insensée et très-stupide ceux qui ne prennent pas à la lettre les paroles de Jésus-Christ, ceci est mon corps, et qui nous objectent en se moquant ces paroles de Cicéron : » Amentissmæ ac stolidissimæ infidelitatis damnamus hæreticos homines, qui Christi Domini hoc est ipsius veritatis planissima dissertissimaque verba, etc...[8]. Illud Academicum, sublato cachinno procaciter usurpant, academicorum non fidelium nepotes : Ecquem tam amentem esse putas, qui illud, quo vescatur, Deum credat esse ? At cum apostolo catholici respondemus : Nos stulti propter Christum ; utinam vos sitis prudentes in Christo[9] ! Il ne s’agit point ici d’examiner la qualité de ces réflexions ; il ne s’agit que des pensées d’Averroës. Je remarque que Vossius n’a parlé qu’en général du mépris de ce philosophe pour la religion chrétienne : il n’a point considéré en particulier le résultat de la Transsubstantiation. Quàm parùm viderit tantus philosophus in verâ et unicâ salutis viâ arguit illud quod diceret, malle se animam sua esse cum philosophis quàm cum christianis[10]. Quelques-uns disent qu’Averroës naquit chrétien, et qu’il se fit juif, et ensuite mahométan. De christiano judæus, de judæo factus est mahumetanus[11]. D’autres disent qu’il écrivit contre les trois grands législateurs, Moïse, Jésus-Christ et Mahomet ; et qu’il fournit les matériaux du livre de Tribus Impostoribus[12]. D’autres observent qu’il n’a jamais cru qu’il eût des diables[13] ; et qu’ainsi

  1. (*) Averroès.
  1. Daillé, Réplique au père Adam et à Cottiby, Ire. part., chap. XVI, pag. 116.
  2. Du Plessis, Traité de la Cène, pag. 1106.
  3. Drelincourt, Dialogue IX contre les missionnaires sur le service des Églises réformées, pag. 305, 306.
  4. Là même, Dialogue VI, pag. 236.
  5. Cicero, de Naturâ Deorum, lib. III, cap. XVI.
  6. Idem, ibid.
  7. Lescaloperius, in Ciceron., de Nat. Deor., pag. 622.
  8. Idem, ibidem.
  9. Idem, ibidem.
  10. Vossius, de Philosophor. Sectis, cap. XVII, pag. 91.
  11. Anton. Sirmondus, de Immortalitate Animæ, pag. 29.
  12. Claudius Berigardus, in Proæmio Circuli Pisani, pag. 5.
  13. Naudé, Apologie des grands Hommes, pag. 320.