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AVERROÈS.

raîtra plus surprenant, lorsqu’on verra les paroles qui précédent celles où ils l’affirment. Secunda (sententia) fuit Avicennæ 9 Metaph. cap. quarto, et in lib. Natur. parte 5, Avempace in epistolâ de lumine, et Græci cujusdam Marini cujus mentionem facit hoc loco Philoponus, ajentium intellectum agentem esse substantiam quandam separatam, quam Avicenna Cholcodæam nuncupabat. Idem placuit Averroi in libello de Beatitudine Animæ, cap. 5, et in epitome Metaph. tractatu 4, qui errori errorem subnectens, aliorum vestisia secutus, unum omnium hominum finxit communem intellectum, ut alibi retulimus[1]. C’est dire que l’unité d’entendement est une fiction qu’Averroës a ajoutée aux erreurs des autres ; et néanmoins il est clair que cette fiction n’est point différente de la doctrine qu’on venait d’attribuer à Avicenne, etc. Souvenons-nous que l’entendement des hommes, au dire d’Averroës, est la dernière des intelligences, celle qui occupe le plus bas lieu de l’univers [2]. Esse mentium infimam omuium, et unicam. Nam sicuti cœlestes globi singuli singulas habere mentes videntur, ità et orbis hic inferior unam, ut ipse vult, habet, quæ non hujus hominis sit, vel illius, sed humanæ speciei mens sit, et dicatur, ut speciei unicæ unicus sit intellectus in hoc orbe inferiori, ut plerique intelligunt, ubique totus compingi[3]. Quoi qu’il en soit, lorsque ces jésuites réfutent la prétendue unité de l’entendement de tous les hommes, ils n’attaquent que ce philosophe, tant on est persuadé que pour le moins il mérite d’être tenu pour le principal défenseur de cette chimère. Ils remarquent que Scot a dit qu’Averroës s’est rendu digne d’être excommunié par le genre humain, et que d’autres disent que sa doctrine est un monstre si effroyable, que les forêts de l’Arabie n’en ont jamais produit de plus grand. Hæc commentatoris seu commentitoris potiùs de unitate intellectûs sententia adeò stulta est, ut meritò Scotus in 4. d. 43. q. 2. dixerit dignum esse Averroem qui ob has ineptias ex hominum communione averruncetur ; alii verò hoc ejus figmentum monstrum vocârint quo nullum majus Arabum sylvæ genuerint. Certè hoc unum sat esse debuisset ad eos coarguendos qui filium Roïs tanti faciunt, ut ejus animam Aristotelis animam esse dicant[4]. La dernière partie de ce passage nous apprend qu’entre autres éloges on a donné à cet Arabe celui d’avoir l’âme d’Aristote. Les jésuites de Conimbre veulent que, pour réfuter cela, il suffise de prendre garde à la doctrine de l’unité de l’entendement. Cette réflexion est fausse ; car cette doctrine, comme l’avouent plusieurs modernes, n’est qu’une extension et qu’un développement des principes d’Aristote. Je pourrais faire plusieurs remarques pour prouver cela, mais je me contente de celle-ci : c’est que, selon l’hypothèse de ce philosophe, la multiplication des individus ne peut avoir d’autre fondement que la matière, d’où il s’ensuit que l’entendement est unique, puisque selon Aristote il est séparé et distinct de la matière. Viderunt Aristotelem simpliciter probare intellectum possibilem esse immixtum et immaterialem [5]. Cette observation est de Pomponace. Quod verò unicus sit intellectus in omnibus hominibus sive possibilis ponatur, patere potest ex eo quoniam apud peripateticos est celebrata propositio, multiplicationem individuorum in eâdem specie non posse esse, nisi per materiam quantam, ut dicitur 7. et 12. Metaph. et 2. de Animâ[6]. Quelque fondée que cette opinion d’Averroës puisse être sur Aristote, elle est dans le fond impie et absurde. Elle est impie, puisqu’elle conduit à croire que l’âme, qui est proprement la forme de l’homme, meurt avec le corps[7] ; elle est absurde, car que peut-on dire de plus insensé que de soutenir que deux hommes qui s’entretuent, dirigés chacun par ses actes intellectuels, ont la même âme ? Que peut-on imaginer de plus chimérique que de prétendre

  1. Conimbricenses in lib. III de Animâ, cap. V, Quæst. I, art. I, pag. 226.
  2. Commentator ipse, Comm. XIX, lib. III de Animâ, ponit ipsam esse ultimam intelligentiarum. Pomponatius, de Immort. Animæ, cap. IV, pag. 11.
  3. Cœlius Rhodiginus, Antiq. Lect., lib. III, cap. II, pag. 109.
  4. Conimbric., in lib. II de Animâ, cap. IV, Quæst. VII, art. II, pag. 60.
  5. Pomponatius, de Immortal. Animæ, cap. IV, pag. 7.
  6. Id., ibid., pag. 8.
  7. Voyez la remarque (B), vers la fin.