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AVERROÈS.

bensis, cognomento Commentator, medicus non tam practicus, quàm theoreticus. Fuit medicus Memarolini regis [1]. Les dernières paroles affaiblissent les premières plus qu’elles ne les confirment ; car être le médecin d’un prince tient beaucoup de la pratique. Je ne dis rien de Memarolini [2], qui n’était pas un nom propre, mais un nom de dignité, et par conséquent peu propre à être uni au mot regis. M. Mercklinus n’a pas songé à cela, lorsqu’il a dit, videtur medicus fuisse regis Miramamolini[3]. Symphorien Champier a été ici le mauvais guide : il a dit qu’Averroës a vécu tempore Miramalini regis apud Cordubam [4]. Notez que les médecins de Paris, grands partisans de la saignée, ne conviendraient pas aisément qu’Averroës fut médiocre dans la pratique de la médecine ; car on dit que son exemple a contribué beaucoup à extirper une erreur qu’ils désapprouvent. Lisez ces paroles d’Étienne Pasquier. « Combien de siècles avons-nous exercé la médecine, estimants qu’il ne falloit saigner un enfant jusques à ce qu’il eust atteint l’aage de quatorze ans, et que la saignée leur estoit auparavant ce temps, non un remède, ains leur mort ! Hérésie en laquelle nous serions encore aujourd’huy, sans Averroës, Arabe, qui premier se hazarda d’en faire l’espreuve sur un sien fils aagé de six à sept ans [* 1], qu’il guérit d’une pleurésie[5]. »

(E) On le regarde comme l’inventeur d’un sentiment fort absurde, et fort contraire à l’orthodoxie chrétienne. ] Il vaudrait mieux dire, ce me semble, qu’il l’a éclairci et développé, et que l’ayant soutenu avec plus d’application qu’on ne faisait auparavant, il lui a donné une espèce de nouvelle vie ; car le même Pomponace, qui assure dans le chapitre IV que c’est un monstre forgé par Averroës, Figmentum et monstrum ab Averroë confictum[6], avait dit dans le chapitre III, que Themistius et Averroës enseignent la même chose. Averroës itaque et ut existimo ante eum Themistius concordes posuêre animam intellectivam realiter distingui ab animâ corruptibili, verùm ipsam esse unam numero in omnibus hominibus ; mortalem verò multiplicatam [7]. Les jésuites de Conimbre remontent plus haut, car ils veulent que Théophraste ait entendu de cette façon la doctrine d’Aristote son maître. Occurrit alia sententia existimantium in disciplinâ Aristotelis ponendam esse unam duntaxat animam intellectricem, sive unum intellectum qui omnibus hominibus assistat, ut solis lumen universitati. Sic enim Aristotelem interpretati sunt ejus discipulus et scholæ successor Theophrastus, Themistius, Simplicius, Averroës, aliique non pauci, etsi non omnes eodem modo de hujusmodi intellectu locuti fuerint[8]. Ils ajoutent que plusieurs modernes ont avoué que, selon les hypothèses d’Aristote, l’entendement de tous les hommes est une seule et même substance. Hoc quidem argumentum permovit etiam ad prædictam intellectûs unitatem in Aristotelis doctrinâ asserendam non paucos è recentioribus peripateticis, in quibus sunt Thom. Anglicus, Achillinus, Odo, Jandunus, Mirandulanus, Zimara, Vicomercatus, et quidam alii[9] ; mais qu’entre ces modernes les uns veulent qu’elle soit dans tous les hommes comme une forme assistante, et que les autres soutiennent qu’elle y est en qualité de forme informante. Ce dernier sentiment est celui de Mirandulanus [10], et d’Achillinus[11]. Mais voici une méprise toute semblable à celle de Pomponace. Les jésuites de Conimbre imputent ailleurs à Averroës l’invention de l’unité de l’entendement de tous les hommes. Cela pa-

  1. * Chaufepié, d’après Freind, fait voir que c’est une erreur de Pasquier ; car Averroës dit lui même que ce fut Avenzoar qui pratiqua cela sur son propre fils.
  1. Vossius, de Philosophiâ, cap. XIV, pag. 114.
  2. Ce n’est pas bien latiniser cette dignité.
  3. Mercklinus, in Lindenio renovato, pag. 94.
  4. Symph. Camperius, de Claris Medicis.
  5. Pasquier, au IIe. tome de ses Lettres, liv. XIX, pag. 548.
  6. Pomponatius, de Immortal. Animæ, cap. IV, pag. 9.
  7. Idem, ibid., cap. III, pag. 7.
  8. Conimbricenses in II. lib. de Animâ, cap. I, Quæst. VII, art. I, pag. 59.
  9. Ibidem.
  10. Mirandulanus, de Eversione singularis Certaminis, lib. XXXII, sect. I et lib. XXXIII, sect. II, et VI.
  11. Achillinus, lib. de Intelligentiis.