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AVERROÈS.

fort servi d’un écrit de Jean Léon, qu’Hottinger a publié [a]. Je puis donc, quant à cela, aller aux sources aussi bien que lui. Je dirai donc que l’on trouve dans cet écrit, que le peuple de Cordoue éleva Averroës à deux belles charges, que son père et son aïeul avaient possédées (K) : c’étaient celle de grand justicier, et celle de chef des prêtres. Il était capable de s’en acquitter, puisqu’il entendait fort bien la jurisprudence et la théologie. Après l’étude de ces deux sciences, il s’attacha à la physique, à la médecine, à l’astrologie et aux mathématiques. Pendant qu’il avait les charges dont j’ai parlé, le roi de Maroc lui envoya des députés, pour lui offrir celle de juge de Maroc et de toute la Mauritanie, et à telle condition, qu’il conserverait tous les emplois dont il jouissait en Espagne. Cette proposition lui plut : il s’en alla à Maroc ; mais y ayant établi des juges comme ses subdélégués, il s’en retourna à Cordoue. On dit des merveilles de sa patience, et de sa libéralité, et de sa douceur (L). Il renvoyait à son lieutenant tous les procès criminels, et n’y opina jamais. Tant de bonnes qualités n’empêchèrent pas qu’il n’eût beaucoup d’ennemis, qui le traversèrent extrêmement, et qui l’accusèrent d’hérésie ; ce qui eut des suites bien fâcheuses, et bien accablantes pour lui (M). Il ne mourut point sans en être délivré glorieusement. Ce qu’il répondit à un jeune gentilhomme qui le priait de lui accorder sa fille, est assez curieux (N). On raconte une chose très-singulière touchant l’effet de quelques discours qu’il prononça contre le plus jeune de ses fils (O). Il composa beaucoup de vers de galanterie ; mais quand il fut vieux il les fit jeter au feu [b] (P). Je ne sais d’ou du Verdier Van-Privas a pris ces paroles : Averroës fut rompu par une roue qu’on lui mit sur l’estomac. Vous les trouverez dans un chapitre qu’il intitule : de plusieurs Hommes lettrés anciens et modernes, lesquels moururent misérablement [c]. J’ai été surpris de la prodigieuse stérilité que j’ai trouvée dans la Bibliothéque orientale de M. d’Herbelot (Q). On avait lieu de croire qu’un homme qui avait une si vaste connaissance des livres arabes étalerait mille beaux recueils concernant les aventures et les dogmes d’Averroës ; et on voit, au lieu de cela, une brièveté surprenante, et qui, bien loin de nous instruire de ce que nous ignorions, nous peut faire méconnaître ce que nous avions appris.

  1. Acta Eruditor., Lips. 1697, pag. 305.
  2. Tiré d’un livre de Viris quibusdam illustribus apud Arabes, traduit par Jean Léon, et publié par Hottinger, au chap. III du IIe. livre de sa Bibliotheca theologica.
  3. C’est le XVIIIe. du IIe. livre de ses diverses Leçons.

(A) Il a fleuri au XIIe. siècle. ] Je n’en vois guère donner d’autre preuve que celle-ci : c’est que ses deux fils furent vus par Gilles de Rome[* 1] à la cour de Frédéric Barbe-

  1. * C’est une faute considérable, dit Leclerc, d’avoir supposé que les deux fils d’Averroës furent vus par Gilles de Rome à la cour de Frédéric Barberousse mort en 1190. Ce n’a pu être qu’à celle de Frédéric II, mort en 1250 ; car Gilles de Rome ne mourut qu’en 1316... « Pour moi, dit Joly, je pense que Gilles de Rome n’a pu voir les fils d’Averroës à la cour d’aucun Frédéric. Ce n’a pu être à la cour de Frédéric Ier., comme l’a prouvé M. Leclerc ; j’ai peine à croire que ce soit à celle de Frédéric