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AVERROÈS.

chement pour Aristote, et il en commenta les ouvrages avec tant d’habileté, qu’on le nomma le Commentateur par excellence. On admire que, ne sachant point de grec, il ait si bien pénétré le sens de l’original ; on a donc raison de croire que, s’il eût su cette langue, il eût compris parfaitement les pensées d’Aristote : Qui græcè nescius feliciter adeò mentem Aristotelis perspexit ; quid non fecisset si linguam scisset græcam [a] ? Voilà ce que disent quelques savans ; mais d’autres assurent qu’il l’a fort mal entendu (B), tant parce que son esprit était médiocre, que parce qu’il ignorait la belle littérature. Il fut professeur dans l’académie de Maroc (C), et se rendit fort habile dans la médecine ; mais il en savait mieux la théorie que la pratique (D). On le regarde comme l’inventeur d’un sentiment fort absurde, et fort contraire à l’orthodoxie chrétienne (E), et qui néanmoins fit des progrès si formidables parmi plusieurs philosophes italiens, qu’il fallut le faire proscrire par l’autorité papale (F). Ce sentiment est qu’il y a une intelligence qui, sans se multiplier, anime tous les individus de l’espèce humaine, en tant qu’ils exercent les fonctions de l’âme raisonnable. Il n’y a guère de livres où il paraisse qu’Averroës ait eu de meilleures intentions, que dans celui qui a pour titre, Destructiones Destructionum contra Algazelem (G). On parle fort désavantageusement de la religion de ce philosophe (H), car on veut que non-seulement il ait méprisé le judaïsme et le christianisme, mais aussi le mahométisme, qui était sa religion extérieure. Divers auteurs ont travaillé à la traduction latine de ses ouvrages (I). J’espérais qu’avant que cet article fût donné aux imprimeurs, j’aurais le plaisir de consulter le volume où don Nicolas Antonio a parlé fort amplement d’Averroës ; mais je me vois privé de cette satisfaction, et réduit aux seuls extraits du journaliste de Paris. Vous allez voir ce que j’en tire. « Averroës de Cordoue y fut instruit par son père dans la jurisprudence et dans la religion du pays. Il était excessivement gras, bien qu’il ne mangeât qu’une fois le jour. Il passait toutes les nuits à l’étude de la philosophie ; et, lorsqu’il se sentait fatigué, il se divertissait par la lecture de quelque livre de poésie ou d’histoire. Jamais on ne le vit jouer, ni rechercher aucun autre amusement. Les erreurs dont il fut accusé donnèrent lieu à une sentence par laquelle il fut dépouillé de son bien, et obligé à se rétracter. Après sa condamnation, il fit un voyage à Fez, puis retourna à Cordoue, où il demeura jusqu’à ce qu’à l’instante prière des peuples il fut rappelé à Maroc, où il passa le reste de sa vie, qu’il finit en 1206 [b]. » Les journalistes de Leipsick m’apprennent que don Nicolas Antonio, dans cette partie de son ouvrage, s’est

  1. Vossius, de Philosophorum sectis, pag. 90. Voyez dans la remarque (I) les paroles de Keckerman.
  2. Journal des Savans du 1er. juillet 1697, pag. 475, édit. de Hollande.