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ARTAVASDE Ier.

chassé, et eut Orode son frère pour successeur, lequel Orode remporta une si mémorable victoire sur les Romains. Notre Artavasde, à la vérité, régnait en même temps qu’Orode ; mais rien n’empêche qu’il n’ait commencé de régner avant lui, et que Tigrane son père ne soit mort avant la déposition de Mithridate-le-Grand ; auquel cas Artavasde aura pu être en guerre avec ce dernier. Il est vrai, qu’afin que Justin soit d’accord avec Plutarque [1] et avec Dion [2], il faut supposer que son Mithridate-le-Grand est le Phrahate que ceux-ci font régner du temps de Tigrane.

(B) Je ne crois pas qu’il faille distinguer cet Artavasde de celui qui trompa Marc Antoine. ] Voici mes raisons. Celui qui trompa Crassus, était fils de Tigrane, à ce que Dion assure [3]. Celui qui trompa Marc Antoine était fils de Tigrane, à ce que dit Josephe [4], dont le témoignage pourrait être confirmé en cas de besoin par Strabon qui assure, non-seulement que celui que Marc Antoine punit de sa perfidie avait régné après Tigrane [5], mais même qu’il était son fils [6]. Donc, celui qui usa de supercherie envers les Romains au temps de Crassus, est le même qui les trompa dans l’expédition de Marc Antoine. M. Moréri ne l’entendait pas ainsi : il voulait qu’on reconnût deux Artavasdes. S’il en fût demeuré là, on n’aurait pas trouvé fort étrange son sentiment ; mais voici ce qu’on ne saurait payer. Il veut que l’un de ces Artavasdes soit celui qui avait composé des histoires et des poésies, et que l’autre soit celui que Marc Autoine mena en triomphe dans Alexandrie l’an 720 de Rome. Il dit que celui-ci laissa un fils de ce même nom, qui est peut être celui dont parle Plutarque, qui avait tant d’esprit [7] et qui trahit Crassus. Quel aveuglement ! Crassus fut trahi l’an 701 ; celui qui le trahit était actuellement roi d’Arménie : comment donc serait-il le fils d’un roi d’Arménie détrôné l’an 720 ? M. Moréri remarque que ce prince détrôné mourut en prison quelque temps après. C’est oublier une circonstance très-essentielle, car il fut tué. Ἀνῃρέθη συνάπτοντος τοῦ Ἀκτιακοῦ πολέμου [8], Bello Actiaco gliscente interfectus est. Cléopâtre, selon Dion, était de retour à Alexandrie, après la bataille d’Actium, quand ce meurtre fut commis [9]. On ajoute qu’il laissa un fils nommé Artavasde. Ce n’est point cela ; son fils aîné, qui lui succèda, se nommait Artaxias ; son autre fils se nommait Tigrane : et quant à cet autre Artavasde, qui, selon M. Moréri, citant Tacite, perdit bientôt l’Arménie, que Tibère lui avait donnée, il n’était point fils de l’autre, et il ne fut que le troisième ou le quatrième roi après lui. Il est faux de plus que Tacite nous apprenne que Tibère lui donna l’Arménie. Voici ce qu’il dit : Dein jussu Augusti impositus Artavasdes, et non sine clade nostrâ dejectus. Tum C. Cæsar componendæ Armeniæ deligitur. Is Ariobarzanem, origine Medum, ob insignem corporis formam et præclarum animum volentibus Armeniis præfecit [10]. Enfin, ce que dit M. Moréri, qu’Auguste y avait envoyé un fils d’Agrippa qu’on chassa bientôt, est très-faux ; car l’envoi de Caïus-César fils d’Agrippa fut postérieur à la ruine du dernier Artavasde. Caïus César ne fut point envoyé dans l’Arménie pour y régner, mais pour y mettre ordre aux affaires ; il y établit Ariobarzanes, et puis continua de visiter l’Orient avec une pompe digne de l’héritier présomptif de tout l’empire romain. Si l’on tâchait à faire des fautes, en ferait-on plus que M. Moréri ? En ferait-on sept ou huit dans seize lignes ? M. Hofman n’en fait que trois dans cet article. Il dit, 1°. qu’Artavasde secourut Crassus contre les Parthes [11] ; 2°. que Tibère donna l’Arménie à un autre Artavasde ; 3°. qu’avant cela, Auguste l’avait donnée à Artabaze fils d’Agrippa, qui fut bientôt chassé. M. Lloyd a supprimé tout cet article, quoiqu’il fût assez bon dans Charles Étienne.

(C) Marc Antoine... le chargea

  1. Plutarch., in Pompeio.
  2. Dio, lib. XXXVII.
  3. Idem, lib. XL.
  4. Joseph., lib. XV, cap. V.
  5. Strabo, lib. XI, sub finem.
  6. Idem, lib. XI, pag. 365.
  7. Plutarque ne dit point qu’il eût beaucoup, ni tant d’esprit.
  8. Strabo, lib. XI, sub finem.
  9. Voyez Tacite, Annal. lib. II, cap. III.
  10. Idem, ibid.
  11. Charles Étienne le dit aussi.