Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/458

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
448
ARTABAN Ier.

ment à mon égard. » Xerxès voulut absolument être obéi : Artaban songea en conformité avec son maître, et ne s’opposa plus à la guerre ; mais il en devint le promoteur, quoiqu’il lui restât une assez grande défiance du succès [1]. Si ces choses étaient vraies, n’en faudrait-il pas conclure qu’elles venaient de l’esprit menteur et meurtrier dès le commencement ; car on menaçait Xerxès d’un honteux abaissement, s’il désistait de l’entreprise [2] ? Une autre fois, Artaban raisonna d’une manière très-peu commune sur la brièveté de notre vie, chose qui avait fait pleurer Xerxès à la vue de ses troupes innombrables [3]. Nous ne vivons que trop, dit-il : notre vie, toute courte qu’elle est, a plus d’étendue qu’il n’en faut pour nous faire bien enrager, et pour nous faire souvent souhaiter la mort comme un doux refuge contre les misères qui nous accablent. Que si néanmoins la vie a été assaisonnée d’un goût agréable, c’est une preuve que Dieu porte envie au genre humain [* 1]. Où sont les philosophes grecs qui n’eussent dû dire de cette manière de penser ce que dit Pyrrhus, quand il eut été reconnaître l’armée romaine : L’ordre de bataille de ces barbares, dit-il, et leur façon de camper, n’ont rien de barbare [4]. C’est aux chrétiens à rectifier cela. Notez qu’Hérodote connaissait très-bien les vanités et les misères du genre humain : mais il affectait un peu trop d’en chercher la cause dans la jalousie ou dans la malignité des dieux. Plutarque lui en a fait un procès [5].

  1. * L’abbé Bellenger dans le tome XI des Jugemens sur quelques ouvrages nouveaux reproche à Bayle d’avoir suivi la version latine de Valla qui ne répond point au texte grec, et donne son opinion sur le sens de ce passage. Joly, dans ses Additions, examine la critique de Bellenger. Larcher dans sa traduction d’Hérodote a ainsi rendu cette phrase : « En assaisonnant notre vie de quelques plaisirs, le dieu fait bien voir sa jalousie. » Larcher ajoute en note : « On s’était trompé dans ce passage, et M. Bellenger aussi. Valla avait mal traduit Dulce gustans sæculum. Portus ou Henri Etienne avaient très-bien corrigé Dulci gustu vuam aspergens. M. Bellenger a eu tort de reprendre cette version qu’il attribue mal à propos à Valla. La traduction de Valla est absurde ; car la divinité ne fait point paraître de jalousie parce qu’elle est heureuse, mais parce qu’elle garde le bonheur pour elle-même et qu’elle n’en communique qu’une légère portion aux hommes, dont elle assaisonne les maux qu’ils éprouvent pendant leur vie. »
  1. Herodot., lib. VII, cap. XLVII.
  2. Idem, ibid., cap. XIV.
  3. Idem, ibid., cap. XLVI. Voyez la remarque (L) de l’article Périclès, à la fin.
  4. Plutarch., in Pyrrho, pag. 393.
  5. Voyez la remarque (K) de l’article Périclès, vers la fin.

ARTABAN Ier., roi des Parthes, le septième depuis Arsaces, fondateur de la monarchie [a], était fils de Priapatius, et frère de Phrahate et de Mithridate (A), qui avaient tous trois régné successivement sur les Parthes. Il succéda à Phrahate son neveu, et mourut peu de temps après, ayant été blessé au bras dans la guerre qu’il fit aux Thogariens [b].

  1. Environ deux cent quarante ans avant Jésus-Christ.
  2. Justin., lib. XLII, cap. II.

(A) Il était fils de Priapatius, et frère de Phrahate et de Mithridate. ] M. Moréri le fait fils de Phrahate Ier., et oncle de Phrahate II : mais voilà deux relations incompatibles ; car Phrahate II était fils de Mithridate, et celui-ci était frère de Phrahate Ier. : comment donc se pourrait-il faire qu’un fils de Phrahate Ier. fut oncle de Phrahate II ? Cette raison a été cause, qu’encore que Justin ne donne à Priapatius que deux fils, je lui en ai donné un troisième, savoir Artaban Ier. Quand des auteurs s’expliquent mal, ils nous donnent cette liberté sur eux. Justin débite deux choses[1] : 1°., que Priapatius, en mourant l’an 15 de son règne, laissa deux fils, dont l’aîné, qui s’appelait Phrahate, régna avant Mithridate son cadet ; 1°. Que Phrahate, fils de Mithridate, régna après son père, et qu’il eut pour successeur Artaban, son oncle paternel [2]. C’est une grande brouillerie ; c’est insinuer que Mithridate et Phrahate étaient les seuls fils de Priapatius ; et c’est dire qu’il en eut encore

  1. Justin., lib. XLI, cap. V.
  2. Justin., lib. XLII, cap. I et II.