Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/457

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
447
ARTABAN.

d’avis que Darius allât attaquer les Scythes [a] ; encore moins que Xerxès s’engageât à faire la guerre aux Grecs. Hérodote nous a conservé les raisons solides sur lesquelles il appuyait son avis (B), et le jugement qu’il porta sur la prodigieuse armée de mer et de terre avec laquelle Xerxès se préparait à passer d’Asie en Europe [b]. Les difficultés qu’Artaban lui représenta furent cause qu’on aima mieux le renvoyer dans la Perse, pour y commander en l’absence du roi, que de lui faire continuer le voyage [c]. L’événement montra combien ses conseils avaient été judicieux et fidèles. Il ne persévéra pas toujours dans cette fidélité, car il conspira contre Xerxès, et le tua [d] ; et puis il engagea Artaxerxès, fils de Xerxès, à se défaire de son frère Darius : il l’y engagea, dis-je, en lui faisant accroire que Darius était le meurtrier de Xerxès. Mais Artaxerxès connut la vérité peu après, et tua Artaban dans le temps que celui-ci ôtait sa cuirasse [e]. Diodore de Sicile parle autrement que Justin de la manière dont Artaban fut châtié de son crime [f]. On verra dans la remarque (B) de quelle manière ce prince savait raisonner sur les songes, et sur la durée de notre vie.

  1. Id., ibid.
  2. Ibidem, cap. XLIX, et seq.
  3. Idem, lib. VII, cap. LII, LIII.
  4. Diodor., lib. XI ; Justin, lib. III, cap. I.
  5. Justin, lib. III, cap. I.
  6. Diodor. Siculus, lib. XI.

(A) Fils d’Hystaspe. ] Je ne sais point où M. Moréri avait lu qu’Artaban était natif d’Hircanie. Les deux auteurs qu’il a cités [1] ne disent rien de semblable. Ctésias donne pour père à Artaban, un favori de Cambyses, qu’il nomme Artasyras, qui d’abord favorisa l’usurpation du mage, et ensuite le dessein que sept grands seigneurs formèrent de chasser le mage [2].

(B) Hérodote nous a conservé les raisons solides sur lesquelles il appuyait son avis [3]. ] On dirait qu’Hérodote avait pris à tâche de faire honneur, et à la prudence, et à l’esprit d’Artaban : il ne donne jamais plus d’essor à son imagination, que lorsqu’il fait raisonner ce prince. Xerxès, après s’être bien fâché, et après l’avoir outragé, s’était rendu à ses raisons, et ne voulut plus penser au voyage ; mais deux songes consécutifs le poussaient à continuer l’expédition [4]. Il s’en va trouver Artaban, et lui dit ses songes : Je veux savoir, ajoute-t-il, si vous en aurez de semblables. Prenez mes habits, asseyez-vous sur mon trône, couchez dans mon lit. Artaban répond qu’il n’est pas digne de tant d’honneur, et raisonne fort sensément sur les songes. Il dit que s’il y a quelque chose de divin dans ceux de Xerxès, sa majesté a eu raison d’espérer qu’il en ferait de semblables : « car, que serait-ce, si un dieu qui aurait à cœur une guerre, et qui viendrait de nuit la commander à un monarque résolu de vivre en paix, ne venait point ordonner la même chose au premier ministre d’état, lorsqu’on veut connaître à cette preuve si ce dieu souhaite la guerre ? Mais, poursuit-il, ne croyez pas qu’il soit nécessaire pour cela que je prenne vos habits, et que je couche dans votre lit. Ce je ne sais quoi, qui vous est apparu en songe, n’est pas assez bête pour conclure que je suis vous, de ce qu’il me verra revêtu de vos habits ; et, s’il ne daigne s’adresser à moi, vos habits non plus que les miens ne l’obligeront pas à changer de senti-

  1. Diodore de Sicile, liv. XI, et Justin, liv. II. Il fallait citer Justin, liv. III, chap. I.
  2. In Persic., cap. XIII, XIV, XX.
  3. Herodot., lib. III, cap. X.
  4. Idem, lib. VII, cap. XV, et seq.