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ARRIAGA.

se transportassent en Bohême [a], pour y enseigner les plus hautes sciences, il s’offrit à cet emploi. Il arriva à Prague, l’an 1624. Il y régenta la théologie scolastique pendant treize ans, et il fut préfet général des études vingt ans de suite, et chancelier de l’université l’espace de douze années. Il reçut solennellement le bonnet de docteur en théologie, et il s’acquit beaucoup de réputation. La province de Bohême le députa trois fois à Rome, pour y assister aux congrégations générales de l’ordre [b]. On l’exhorta plusieurs fois à retourner en Espagne, mais ce fut en vain. Il fut extrêmement estimé d’Urbain VIII, d’Innocent X, et de l’empereur Ferdinand III. Il mourut à Prague, le 17 de juin 1667 [c]. Il publia plusieurs livres (A), où il étala beaucoup de subtilité d’esprit. On trouve qu’il réussissait beaucoup mieux à ruiner ce qu’il niait, qu’à bien établir ce qu’il affirmait ; et l’on prétend que par-là il est devenu le fauteur du pyrrhonisme (B), quoiqu’il ait donné à connaître qu’il n’était pas pyrrhonien. Il y aurait sans doute beaucoup d’injustice à le soupçonner de la moindre prévarication, et d’avoir été un faux frère des dogmatiques ; car s’il emploie toutes ses forces à réfuter un grand nombre de sentimens, il les emploie aussi à soutenir les opinions qu’il embrasse : on s’aperçoit aisément qu’il y procède de bonne foi, et qu’il agit de tout son mieux ; et, si ses preuves sont inférieures à ses objections, il faut s’en prendre à la nature des choses. L’application avec laquelle il a réfuté toutes les subtilités qui ont été inventées par les scolastiques, pour montrer que deux propositions contradictoires sont quelquefois véritables, et quelquefois fausses (C), suffit à persuader qu’il avait à cœur les intérêts des dogmatiques contre les pyrrhoniens. Il a quitté sur plusieurs matières de physique les opinions les plus générales de l’école, comme sur la composition du continu, sur la raréfaction, etc : et c’est pourquoi il a pris à tâche [d] de justifier les innovateurs en matière de philosophie. C’est dommage qu’un esprit si net et si pénétrant n’ait pas eu plus d’ouverture sur les véritables principes ; car il eût pu les pousser bien loin. Une légère connaissance de l’hydrostatique lui eût fait trouver la raison d’une expérience (D), pour l’explication de laquelle il s’est tourmenté inutilement. Ses efforts, ses instances, ses souplesses là-dessus, font regretter qu’il ait couru avec tant de force hors du bon chemin.

  1. Les jésuites avaient fait depuis peu de ce pays-là une province de leur ordre, détachée de la province d’Austriche. Sotuel, Bibliot. Scriptor. Societ. Jesu, pag. 728, 729.
  2. À la 8, à la 10, et à la 11.
  3. Tiré de Sotuel, Bibl. Scriptorum societ. Jesu, pag. 728, 729.
  4. Dans la préface de son Cours de Philosophie.

(A) Il publia plusieurs livres. ] Un Cours de Philosophie en un volume, et un Cours de Théologie, en huit volumes [* 1]. Le Cours de philosophie, imprimé in-folio, à Anvers, l’an 1632,

  1. * Joly donne la liste exacte des éditions des ouvrages philosophiques et théologiques d’Arriaga.