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ARISTOTE.

phénomène qu’on y voyait le fit mourir de chagrin. Οὐδὲ τὴν τοῦ Εὐρίπου ϕύσιν τοῦ ὄντος ἐν Χαλκίδι γνῶναι δυνηθεὶς, διὰ πολλὴν ἀδοξίαν καὶ αἰσχύνην λυπηθεὶς μετέςη τοῦ βίου[1]. Cùm neque Euripi Chalcidici naturam cognoscere posset, undè propter ingens probrum et pudorem in mœrorem conjectus, morte vitam commutavit. Saint Grégoire de Nazianze, à proprement parler, n’en dit pas autant : il se contente de ne point contredire Julien, qui avait allégué Aristote comme un exemple d’une si grande passion pour l’étude, qu’elle lui avait donné la mort. Ἢ καὶ τὴν Ὡμήρου ϕιλομάθειαν περὶ τὸ Ἀρκαδικὸν ζήτημα· καὶ τὴν Ἀριςοτέλους ϕιλοσοϕίαν καὶ προσεδρίαν ἐπὶ ταῖς τοῦ Εὐρίπου μεταϐολαῖς ὑϕ᾽ ὧν τεθνήκασι[2]. Laudas insuper in Homero discendi amorem circa Arcadicam quæstionem, et in Aristotele philosophiam et diutinam moram ad reciprocos Euripi æstus, quibus uterque occubuit. Ceci est fort remarquable, et je ne sais si quelqu’un s’en est encore aperçu. Plusieurs personnes, n’ayant pas pour les pères de l’église tout le respect qu’il faudrait, se plaisent à les taxer d’une aveugle crédulité : ils les accusent nommément d’avoir diffamé Aristote au sujet de l’Euripe ; mais il y a quelque apparence que Julien apostat avouait le fait dont Justin Martyr a parlé ; car il paraît, par la réponse de saint Grégoire de Nazianze, que cet empereur avait joint Homère avec Aristote pour produire deux exemples d’une avidité de savoir qui avait causé la mort. Or, selon la tradition qui concerne Homère, il mourut de déplaisir de n’avoir pas pu entendre la réponse que lui firent certains pêcheurs. On peut donc croire que Julien avait adopté une tradition semblable touchant Aristote et l’Euripe. Je conviens néanmoins qu’il se pourrait faire qu’il n’eût voulu dire, sinon qu’Aristote observa avec tant d’assiduité les mouvements de l’Euripe, et médita si profondément sur ce sujet, que cette forte application de corps et d’esprit ruina sa santé, et lui attira la maladie qui le fit mourir. Je croirais cela plutôt que toute autre chose. Il ne semble pas qu’Eustathius en veuille dire davantage, lorsqu’il parle de l’Euripe en cette manière : Ἑπτάκις τὸ ὅλον νυχθήμερον μεταϐάλλει ὁ περὶ Εὔϐοιαν Εὺρίπος περὶ ὅν ϕασι διατρίψαντα τὸν Ἀριςοτέλην καταλύσαι τὸν βίον. Septies intra diem naturalem reciproco æstu agitatus Euboïcus Euripus, circa quemdicunt Aristotelem occupatum interiisse. Voyez un long passage de M. le Fèvre, où, après avoir donné un coup de dent en passant aux prédicateurs, il impute à Justin Martyr, et encore plus à Grégoire de Nazianze, ce qu’ils n’ont point dit. Videlicet in Græciâ, quemadmodùm hodièque fit, oratores sacri, si tamen tanto nomine illa pulpitorum crepitacula, et plebeculæ cymbala, cohonestari oporteat vulgò dictitabant Aristotelem, cùm illius septenæ in dies singulos reciprocationis causam non potuisset cognoscere, ibi tum misellum sese in Euripum dedisse præcipitem, et in maximam malam crucem abiisse. Justinus cognomento Martyr, et Gregorius Nazianzenus, qui primi, aut inter primos, hanc fabulam olim in scripta sua retulerunt, id vel studio philosophiæ christianæ (ità enim isti Græculi christianismum vocare solent) fecêre ; dum videlicet insanientem veterum Græcorum sapientiam, obscurandam et premendam existimârunt ; vel fortassè etiam (quidni enim veris locus sit ?), priscæ historiæ ignoratione. Nam ex Eumolpi, Apollodori, Favorinique scriptis, quæ illâ etiam tempestate superfuisse scimus, facilè didicisse boni viri poterant, rem longè se secùs habuisse, quàm prodiderunt[3].

Le Gyraldi avait déjà imputé la même chose à ces pères, et avait conclu de tous ces faits une réflexion pieuse. Il dit, 1°. Que Justin Martyr assure qu’Aristote mourut pour n’avoir pu découvrir la cause du flux et du reflux de l’Euripe ; 2°. que Procope, au IVe. livre de son histoire, l’a dit aussi ; 3°. que Grégoire de Nazianze, ayant observé qu’il en prit très-mal à Homère de n’avoir pu résoudre une question, méprise tout aussitôt la philosophie d’Aristote à l’égard des variétés de l’Euripe, qui le firent mourir ; 4°. que le commentateur grec de ce père rapporte que ce philosophe se précipita dans ce bras

  1. Justini Cohort. ad Græcos, pag. 34.
  2. Greg. Nazianzen., Orat. III, pag. 79.
  3. Tanaq. Fabri Epistolar. part. I, pag. 49, 50.