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ARISTOTE.

sans chandelle dans une maison dont on ignore les êtres. Chacun sait le nombre infini de formes et de facultés distinctes de la substance, que les sectateurs d’Aristote ont introduites : il leur avait ouvert ce chemin d’égarement ; et si, dans le XVIIIe. siècle, la physique a reparu avec quelque lustre, ce n’a été que par la restauration des anciens principes qu’il avait quittés, ce n’a été que par la culture de l’évidence, c’est enfin parce que l’on a exclu de la doctrine des générations ce grand d’ombre d’entités, dont notre esprit n’a aucune idée, et que l’on s’est attaché à la figure, au mouvement, et à la situation des particules de la matière, toutes choses que l’on conçoit clairement et distinctement.

(N) On doit cette justice à ses plus aveugles sectateurs, qu’ils l’ont abandonné..... où il a choqué le christianisme. ] Je ne veux pas néanmoins entrer en procès contre Luther, pour les théologiens de Cologne. Il leur reproche, et à ceux de Louvain aussi, qu’ils défendent ou qu’ils adoucissent par des interprétations forcées les plus grandes et les plus impies absurdités d’Aristote. Aristotelem ipsis in summo esse pretio, et nihil ab eo dictum esse tam absurdè, vel alienè à nostrâ religione, quod non defendant, quod non aliquâ interpretatione quantumvis longè petitâ circumvestiant, quo suus illi constet honos atque nominis existimatio[1]. De quoi n’est point capable l’entêtement !

(O) On ne sait pas s’il a reconnu l’immortalité de l’âme. ] Pomponace et Niphus ont eu une grosse querelle sur ce sujet. Le premier soutint qu’on ne pouvait accorder l’immortalité de l’âme avec les principes d’Aristote ; le dernier s’engagea à soutenir le contraire. Voyez le discours de la Mothe-le-Vayer sur l’immortalité de l’âme[2], et Bodin, à la page 15 de la préface de la Démonomanie.

(P) Selon quelques péripatéticiens, il n’ignorait point le mystère de la Trinité. ] Emmanuel de Moura, disputant contre ceux qui accusent Aristote d’athéisme, dit 1°. qu’une femme le cajola si bien, qu’elle lui fit consulter l’oracle d’Apollon[3] ; 2°. qu’il ordonna par son testament, que l’on dédiât à Jupiter et à Minerve les effigies de certains animaux qu’il avait voués pour le salut de Nicanor[4] ; 3°. Qu’il confesse au premier livre du Ciel et du Monde[5], se cum aliis obtulisse diis trina sacrificia in recognitionem trinæ perfectionis in iis inventæ[6]. On conclut de ces passages, non-seulement qu’il croyait des diables, et qu’il était superstitieux ; mais aussi qu’il avait connu la trinité des personnes avec l’unité de l’essence, comme a voulu Salmeron[7], et auparavant lui, George Trapezonce[8], qui a fait un livre entier de la conformité de la doctrine d’Aristote avec la Sainte Écriture. Naudé, dont j’emprunte ce qu’on vient de lire, remarque qu’Emmanuel de Moura impose manifestement à Philoponus, qui ne dit rien autre chose suivant le texte grec, et la vieille traduction conforme à celle de Nunnesius, sinon qu’Aristote ayant atteint l’âge de seize ans[9], fut conseillé par l’oracle pythien de s’adonner principalement à la philosophie... Les trois sacrifices qu’il fit aux dieux, c’est Naudé qui parle, ou la connaissance de la Trinité, que lui ont donnée beaucoup de docteurs catholiques, « sont toutes chimères, qui ont pris leur origine et fondement sur ce qu’il dit en son Ier. livre du Ciel, parlant du nombre ternaire, Διὸ πα ρὰ τῆς ϕύσεως εἰληϕότες ὥσπερ νόμους ἐκείνης, καὶ πρὸς τὰς ἀγιςείας τῶν Θεῶν χρώμεθα τῷ ἀριθμῷ τούτῳ ; c’est-à-dire, quapropter hoc à naturâ numero sumpto perindè atque quâdam illius lege, et in deorum sacrificiis celebrandis uti solemus. Duquel passage on ne saurait conclure autre chose, sinon qu’Aristote dit que l’on

  1. Apud Sleidanum. de Statu Relig. et Reipubl. lib. II, fol. 33.
  2. Il est au IVe. tome de l’édition de ses Œuvres, in-12.
  3. Il cite Philoponus, en la Vie d’Aristote.
  4. Il cite Plutarque et Diogène.
  5. Sect. II, cap. II, num. 10, cité par Naudé, Apologie des grands Hommes, pag. 328.
  6. Emman. de Moura, lib. de Ensal., sect. II, cap. III, num. 19, cité par Naudé, même.
  7. Tomo II, tract. XXIII, cité par Naudé, là-même, pag. 329.
  8. Lib. II, de Compar. Aristot. et Plat. cité par Naudé, là même.
  9. La circonstance de l’âge énerverait toute la preuve de Moura : car ceux qui prétendraient qu’Aristote aurait nié l’existence des esprits ne le prendraient pas à l’âge de dix-sept ans.