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ARISTOTE.

Paul en son ravissement. » Un concile tenu en France sous Philippe-Auguste, fit brûler la Métaphysique d’Aristote. Un docteur anglais de l’ordre de saint Augustin[1], a laissé par écrit qu’on croyait alors qu’il n’y avait que l’Antechrist qui dût bien entendre les livres d’Aristote, dont il se servirait pour convaincre tous ceux qui entreraient en dispute contre lui. Finissons cette petite compilation par un passage d’Agrippa, qui nous apprend que les théologiens de Cologne soutinrent qu’Aristote avait été le précurseur du Messie dans les mystères de la nature, comme saint Jean l’a été dans les mystères de la grâce : Dignissimus profectò, hodiè latinorum gymnasiorum doctor, et quem colonienses mei theologi etiam divis adnumerarent, librumque sub prœlo evulgatum ederent cui titulum facerent de Salute Aristotelis [2], sed et alium versu et metro de Vitâ et Morte Aristotelis, quem theologicâ insuper glossâ illustrârunt, in cujus calce concludunt, Aristotelem sic fuisse Christi præcursorem in naturalibus, quemadmodùm Joannes Baptista in gratuitis [3]. Parlant sans préoccupation ni pour ni contre, on peut dire que ces panégyristes outrés font plus de mal que de bien à la mémoire d’Aristote. On peut assurer d’eux à certains égards le mot de Tacite : pessimum inimicorum genus laudantes[4]. On pouvait donner tant de justes louanges à Aristote[5], qu’il n’y a pas moyen d’excuser ceux qui, non contens de celles-là, y en ont joint d’hyperboliques.

Que ne se contentait-on de dire qu’il trempait sa plume dans le bon sens[6]. C’est ce que doivent faire tous les philosophes, si l’on en croit le chef des stoïciens : Ὁ Ζήνων ἔλεγεν ὅτι δεῖ τὸν ϕιλόσοϕον εἰς νοῦν ἀποϐάπτοντα προϕέρεσθαι τὴν λέξιν[7]. Zeno ait mente tinctum proferre philosophum sermonem debere. Ceux qui voudront voir des compilations des louanges qu’on a données à Aristote, feront bien de lire Georges de Trébizonde[8], Pérérius au chapitre Ier. du Ve. livre de Principiis, Juste Lipse à la Dissertation IV du Ier. livre Manuductionis ad Philosophiam Stoïcam, Théodore Angelotius dans sa réponse à François Patricius, etc.

(I) Le cardinal Pallavicin.. avoue… que, sans Aristote, l’Église aurait manqué de quelques-uns de ses articles de foi. ] L’auteur de l’Évangile nouveau du cardinal Pallavicin ne manqua pas de relever[9] ces paroles du chapitre XIX du VIIIe. livre, num. 13 : Di cio si doveva in gran parte l’obligazione ad Aristotele, il quale se non si fosse adoperato in distinguer accuratamente i generi delle ragioni, noi mancavamo di molti articoli di fede. Cet éloge me fait souvenir d’un passage de Nicius Érythræus, aussi flatteur qu’il s’en puisse voir pour Aristote. Cet auteur prétend qu’en vain le subtil et savant Patricius a combattu de toutes ses forces la doctrine du Lycée, doctrine inébranlable, et qui verra toujours périr ses rivales. Altiùs Aristotelis auctoritas radices egit, quàm ut cujusquam vim impetumque pertimescat : viget, semperque vigebit, hominis disciplina ; tantùmque quis existimabitur scire, quantùm ex doctrinæ ejusdem fontibus haustum intelligentia comprehensum habuerit ; ac nemo, cui cor sapiat, non satius esse ducet in iis, quæ ad philosophiam pertinent, cum Deo, ut ità dicam, philosophorum errare, quàm cum aliis rectè sapere, minorum gentium magistris. Itaque ille, omnibus in gymnasiis, ad sapientiam properantibus, dux semper habebitur : ille theologorum quasi militiæ, adversùs religionis nostræ hostes, definitiones, argumentorum copiam, et alia præclarè dicta multa, tanquam amentatas hastas elargietur,

  1. Alexander Neccam., lib. de Nat. Rerum, cité par la Mothe-le-Vayer, de la Vertu des Païens, tom. V, pag. 102 de ses Œuvres, édit. in-12.
  2. Voyez la remarque (R).
  3. Agrippa, de Vanit. Scientiar., cap. LIV, pag. 95. Balée a copié ceci, Cent. XIV, pag. 220. Voyez ci-dessous la remarque (V).
  4. Tacit., in Vitâ Agricolæ, cap. XLI.
  5. Vous en trouverez plusieurs de telles dans les Harangues de Conringius, intitulées Aristotelis Laudatio.
  6. Voyez les paroles de Suidas, ci-dessous, remarque (Z) au commencement.
  7. Plotarch., in Vitâ Phocionis, pag. 743, E.
  8. De Comparat. Platonis et Aristotelis.
  9. Chap. VI, art. VI, pag. 253.