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ARISTOTE.

Bessarion[* 1] a été dans la même erreur, et que Léonard Arétin, au VIe. livre de ses lettres, et Octavien Ferrarius, dans son ouvrage de Sermonibus exotericis, ont montré cet anachronisme.

(E) On parle diversement de la conduite d’Aristote envers Platon, son maître. ] Diogène Laërce dit que Platon, voyant qu’Aristote avait rompu avec lui, se mit à dire : il a rué contre nous comme font les poulains contre leur mère[1]. Élien explique amplement cette pensée de Platon : Le poulain, dit-il[2], donne des coups de pied à sa mère, après s’être rassasié de son lait. Aristote pareillement, après avoir pris de Platon les semences et les provisions philosophiques, se sentant bien engraissé de l’excellente pâture que son maître lui avait fournie, lui jeta des ruades, et ouvrit une école à l’envi de celle de Platon. Consultez Helladius, qui change un peu les images, car il emploie la comparaison d’un cheval qui se plaît à mordre son père : Ἀριςοτέλης ὁ τοῦ περιπάτου προςάτης ὁπὸ Πλάτωνος ἱππος ἐπωνομάζετο, ἐναντιοῦσθαι δοκῶν τῷ διδασκάλῳ· καὶ γὰρ ὁ ἵππος τὸν ἑαυτοῦ ϕιλεῖ πατέρα δάκνειν[3]. Aristoteles peripateticae princeps scholae à Platone equus nominatus est, quòd præceptori contradiceret, equo enim volupe est etiam patrem mordere. Voici bien-pis : Élien raconte en un autre lieu[4] qu’Aristote déplut à Platon par la propreté trop magnifique de ses habits, par son air railleur, et par son trop grand caquet ; de sorte que Platon attacha son amitié à quelques autres de ses disciples. Aristote, ayant fait bande à part, se servit d’une occasion que l’absence de Xénocrate et la maladie de Speusippus lui offrirent. C’étaient pour ainsi dire, les deux épées de chevet de Platon : il était donc facile alors de lui faire insulte. Aristote prit ce temps-là pour aller avec une grande foule de disciples dans l’école de Platon. Ce bon vieillard, figé de quatre-vingts ans, n’avait presque plus de mémoire. Aristote, abusant de l’infirmité de son maître, lui fit cent questions captieuses, le poussa dans tous les coins de sa logique, et triompha fièrement. Depuis cet affront, le bonhomme n’enseigna plus en public ; il se tint chez soi avec ses disciples. Aristote s’empara de la place ; mais Xénocrate ayant su, à son retour dans Athènes, comment tout s’était passé, gronda furieusement Speusippe d’avoir permis qu’Aristote se mit en possession de l’école, et s’opposa si vivement à l’usurpateur, qu’il lui fit quitter la place, et qu’il y rétablit le premier maître. Si Aristote en avait usé ainsi, il mériterait d’être détesté ; mais je ne crois point que ce conte soit véritable. Ses sectateurs ont soutenu qu’il ne manqua ni de respect, ni de gratitude envers son maître. Ce ne serait pas en avoir manqué que d’avoir été l’auteur d’une autre philosophie. Les platoniciens auraient grand tort d’exiger qu’il eût suivi Platon en toutes choses. Platon n’avait-il rien ajouté aux lumières que Socrate lui avait fournies ? Quoi qu’il en soit, on soutient dans la Vie d’Aristote qu’il n’érigea point une école dans le Lycée pendant la vie de son maître, et on le prouve par la raison que Chabrias et Timothée, parens de Platon, et tout-puissans alors à Athènes, ne l’eussent pas enduré. On ajoute qu’Aristote consacra un autel à Platon, avec une inscription glorieuse, et qu’il n’enseigna dans Athènes qu’après la mort de Speusippe, qui avait succédé à Platon. Enfin, on remarque qu’il ne s’ingéra point de lui-même à cet emploi, mais par les sollicitations des Athéniens, qui lui envoyèrent des députés. La vieille version latine de cette Vie d’Aristote est quelquefois plus ample que l’original. Par exemple, à l’endroit où l’auteur nie qu’Aristote ait érigé une école pendant la vie de Platon, la traduction marque que c’est une calomnie d’Aristoxène et d’Aristoclès. Le grec n’a point cela. Voyez ce qu’Eusèbe rapporte du VIIe. Livre de cet Aristoclès : vous y verrez un passage d’Aristoxène qui semble contenir, sous des termes généraux et

  1. (*) Liv. I, advers. Calumniator. Platonis.
  1. Diog. Laërtius, lib. V, num. 2, in Vitâ Aristotelis.
  2. Ælian. Var. Hist., lib. IV, cap. IX.
  3. Helladius, apud Photium, Biblioth., pag. 1589.
  4. Ælian. Var. Histor., lib. III, cap. XIX.