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ARISTOTE.

qu’on dit qu’un auteur a vu un tel ou un tel, cette conséquence est infaillible, ils sont donc contemporains[1]. Cela ne souffre point de difficulté ; et par conséquent le traducteur d’Eusèbe s’est donné une licence qui, jointe à celle de Clément Alexandrin falsifie étrangement les conséquences qu’on peut tirer du passage de Cléarque tel que Josephe l’a cité. Il y a des Juifs qui assurent, non seulement qu’Aristote avait copié les œuvres de Salomon, mais aussi qu’il s’était fait prosélyte de justice[2].

Non contens de cela, ils ont produit une lettre, qu’ils supposent qu’il écrivit à Alexandre, pour lui donner des nouvelles de sa conversion. Vous trouveriez cette lettre dans un ouvrage du rabbin Gedalia Ben Jachija, et dans le Moderna Theologia Judaïca de M. Lent, professeur en théologie à Herborn[3]. Lisez aussi ce passage de M. Cousin. Le père Bartolocci, à la page 471 du Ier. tome de sa Bibliotheca magna rabbinica, « rapporte un conte dépourvu de toute vraisemblance, que les rabbins font d’Aristote. Quelques-uns d’eux prétendent qu’il était né de la semence d’Israël et descendu des enfans de Coha, de la tribu de Benjamin. D’autres disent qu’il n’était pas juif d’origine, mais que, sur la fin de sa vie, il embrassa leur religion. Ils ajoutent qu’il avait pris toute sa philosophie des livres de Salomon trouvés dans la ville de Jérusalem lorsqu’elle fut prise par Alexandre, et qu’ensuite il les avait brûlés pour se faire honneur de la sagesse qu’il contenaient. Ils ajoutent encore que pour justifier son changement de religion, il écrivit à Alexandre une lettre qui est transcrite toute entière dans cet endroit de la Grande Bibliothéque, et où les rabbins lui font dire que la logique est une iniquité, que la philosophie est mensongère et trompeuse et que le malheur tombe sur ceux qui l’apprennent parce que par la voie de la dispute ils vont en enfer[4]. » Seldenus cite des auteurs juifs qui ont assuré, 1°. qu’Aristote, un peu avant que d’expirer, communiqua à ses disciples la doctrine qu’il avait apprise des Hébreux touchant l’immortalité de l’âme, et celle des peines et des récompenses à venir ; 2°. qu’à l’égard de tous les points où sa doctrine avait été opposée à la loi les Juifs, il fut converti et changé en un autre homme par le grand pontife Siméon le juste[5].

(C) Ceux qui prétendent qu’il était juif.... se trompent..... grossièrement. ] Voici la source de cette bévue. L’ancienne version de Josephe, par George de Trébizonde, portait : Atque ille, inquit, Aristoteles judæus erat, au lieu de atque ille, inquit Aristoteles, judæus erat. Là-dessus, Marcile Ficin se mit à dire qu’Aristote, au rapport de Cléarque, était juif. Clearchus peripateticus scribit Aristotelem fuisse judæum[6]. Genebrard est tombé dans la même faute. Eâ de causâ fortassè Clearchus peripateticus scripsit Aristotelem fuisse judæum[7]. C’est Jonsius qui m’apprend cela[8]. Je ne veux point imiter Schoockius, qui s’est orné de ces dépouilles, sans en donner la gloire à qui elle appartenait[9]. Mais si l’on voulait entendre juif de religion et non pas juif de nation, il faudrait chercher plus-haut la source de ce mensonge.

(D) On s’est trompé lorsqu’on a dit qu’il avait été disciple de Socrate trois années consécutives. ] La vie d’Aristote, attribuée à Ammonius, ou à Jean Philiponus, contient cette faute. Le docte Nunnesius, qui a fait des observations sur cette vie, dit qu’il n’a trouvé personne parmi les anciens, hormis Olympiodore, qui ait dit qu’Aristote ait été disciple de Socrate[* 1]. Il ajoute que le cardinal

  1. (*) Praxi XLII in Gergiam Platoni.
  1. Bien entendu qu’on suppose que le témoin est sincère.
  2. Apud Buxtorfium, citante Konigio Biblioth. pag. 61.
  3. Ce livre fut imprimé à Herborn l’an 1694.
  4. Journal des Savans, du 14 juillet 1692, pag. 463, édition de Hollande.
  5. Voyez Seldenus, de Jura Natur. et Gentium, lib. I, cap. I, pag. 14 et 15, édit. Lips, an. 1695.
  6. Marsil. Ficin. de Christ. Religione, cap. XXVI.
  7. Genebrardi Chronologia, ad ann. 2670.
  8. Jonsius, de Scriptorib. Hist. philos., pag. 100.
  9. Schoockii Fabula Hamelensis : Voyez ci-dessus la citation (21).