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ARISTOTE.

cela, je ne vois point qu’on puisse accorder ce passage de Suidas avec celui qu’Eusèbe rapporte du même Timée. Il nous donne un fragment où un péripatéticien repousse plusieurs médisances publiées contre Aristote, et en particulier celle de l’historien Timée, qui avait dit qu’Aristote sur ses vieux jours ferma sa boutique de médecin, qui était dans un grand mépris : Ἤ πῶς ἄν τις ἀποδέξαιτο Τιμαίου τοῦ Ταυρομενίτου λέγοντος ἐν ταῖς ἱς ορίαις, ἀδόξου θύρας αὐτὸν ἰατρείου καὶ τὰς τυχούσας, ὀψὲ τῆς ἡλικίας, κλεῖσαι[1]. Ce passage a été fort mal traduit ; car la traduction latine fait dire à Timée, qu’Aristote, dans sa vieillesse, était préposé à fermer la porte de la boutique d’un médecin peu estimé. Quis Timæum Tauromenitanum audiat dum suis in historiis illum ait affectâ jam ætate, neglectis obscuri cujusdam Medici officinæ claudendis foribus præfuisse ? Ne voilà-t-il pas un emploi bien digne de la vieillesse d’Aristote ? Quel relief que d’être suisse d’un apothicaire, ou de médecin qui n’était pas connu !

II. Clément Alexandrin assure, c’est le père Rapin qui parle[2], qu’Aristote eut des conférences à Athènes avec un Juif, pour s’instruire dans la religion des Égyptiens. Eusèbe l’a dit aussi-bien que lui : l’un et l’autre l’ont cru sur le témoignage d’un péripatéticien nommé Clearque. Il y a bien à rabattre dans ces paroles ; car, 1o. tout ce que Clément Alexandrin assure se réduit à ceci : c’est que le péripatéticien Cléarque dit qu’il connaît un Juif qui a eu des conversations avec Aristote. Κλέαρχος ὁ περιπατητικὸς εἰδέναι ϕησί τινα Ἰουδαῖον, ὅς Ἀριςοτέλει συνεγένετο[3]. Clearchus peripateticus dicit se nosse quemdam Judæum qui cum Aristotele versatus est. Quant au lieu et à la matière de ces conversations, demandez-en des nouvelles à qui vous voudrez plutôt qu’à Clément Alexandrin. 2o. Il n’est pas vrai qu’Eusèbe affirme là-dessus quelque chose : il ne fait que rapporter les paroles de Clément d’Alexandrie. 3o. Cléarque, auquel il faut remonter comme à la première source, ne dit point qu’Aristote ait eu des conversations à Athènes avec un Juif : il dit, au contraire, que ce fut dans l’Asie[4] ; et il ne dit point si elles roulèrent sur la religion des Égyptiens, ou sur quelqu’autre matière particulière : il se tient dans une grande généralité. Je pense bien que si nous avions son livre, nous y trouverions du détail ; mais nous n’en avons qu’un passage, qui fut cité par Josephe dans le Ier. livre contre Apion, afin de montrer que la nation judaïque n’avait pas été inconnue aux Grecs. Si le père Rapin avait consulté les originaux, eût-il dit qu’il est assez vraisemblable qu’Aristote, pour suppléer au voyage d’Égypte qu’on croyait alors nécessaire pour devenir savant, se contenta de s’éclaircir en particulier des mystères et de la religion des Égyptiens, afin de ménager le temps qu’on s’expose à perdre dans les voyages ? Aristote ne voyageait-il pas actuellement dans l’Asie, lorsqu’il eut ces conversations, s’il en faut croire Cléarque ? Nous verrons dans la remarque (B) s’il mérite d’être cru.

IV. Il n’est pas vrai qu’Hermias donna sa sœur Pythias en mariage à Aristote[5]. Voyez la remarque (F), vers la fin.

V. Les autres fautes du père Rapin que j’ai observées sont répandues dans les remarques suivantes.

(B) On ne doit pas croire qu’il apprit beaucoup de choses d’un Juif, et encore moins sa conversion au judaïsme. ] Cette tradition n’a point d’autre fondement que le passage de Cléarque dont je viens de faire mention. Ce passage ne serait pas d’une petite autorité, s’il était de Cléarque, qui fut un des plus célèbres disciples d’Aristote : mais, selon toutes les apparences, il est d’un autre Cléarque ; car, 1o. l’auteur cité par Josephe, dit qu’Aristote voyageant en Asie ren-

  1. Aristocles, apud Eusebium, Præparat. Evangel., lib. XV, cap. II, pag. 791.
  2. Compar. de Platon et d’Aristote, pag. 304.
  3. Clem. Alexandr. Stromat., lib. I, pag. 304.
  4. Τότε διατριϐόντων ἡμῶν περὶ τὴν Ἀσίαν. Nobis tum in Asiâ fortè degentibus. C’est Aristote qui parle dans ce livre de Cléarque de Somno, apud Joseph., lib. I, contra Apion. et apud Euseb. Præparat. Evangel., lib IX, cap. V, pag. 410.
  5. Rapin, Compar. de Platon et d’Aristote, pag. 306.